L'Obs

Présidenti­elle La démarche « Royal » de Macron

Même démarche participat­ive, même volonté de transgress­ion, mêmes sondages flatteurs… l’échappée belle de l’ancien ministre de l’Economie ressemble beaucoup à celle de Ségolène Royal en 2007. De quoi nourrir tous les fantasmes…

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C ’est une belle journée ensoleillé­e pour se promener, mais il n’avance pas. Il met plus de dix minutes à parcourir la passerelle Braque, longue seulement d’une cinquantai­ne de mètres. Ce 4 octobre, à Strasbourg, Emmanuel Macron doit tenir le premier de ses trois meetings sur le diagnostic de l’état de la France, établi par les « marcheurs » de son nouveau mouvement durant tout l’été. Mais avant, il s’offre dans l’après-midi une déambulati­on dans les rues de la capitale alsacienne. Des riverains, il en rencontrer­a cependant très peu. La faute à une immense forêt de micros et de caméras qui l’entoure et l’empêche de progresser. Au bord du canal du Rhône au Rhin, le socialiste Alain Fontanel, premier adjoint au maire, écarquille les yeux. « C’est dingue ! La dernière fois que l’on a vu cela, c’était avec Ségolène… » Nul doute que, le soir venu, l’élu local n’a pas renié le parallèle avec Royal. Au Palais de la Musique et des Congrès, on croirait être revenu au temps des débats participat­ifs organisés naguère par la candidate à la présidenti­elle de 2007. Le ministre démissionn­aire discourt debout, sans pupitre, au centre d’une salle comble. Il exhorte ses supporteur­s à faire de la politique « autrement ». Lesquels lui rendent sa ferveur à coups de « Macron président ! »

Macron-Royal, destins croisés? La comparaiso­n fait florès depuis l’ascension fulgurante du premier, passé en moins d’un quinquenna­t de la banque Rothschild à la ligne de départ de la course vers l’Elysée. Une comparaiso­n qui tient avant tout au caractère disruptif des deux personnali­tés. Leur volonté de transgress­er ne laisse personne indifféren­t. Leur liberté de ton séduit ou agace, c’est selon. La sacro-sainte solidarité gouverneme­ntale, Macron n’en avait cure lorsqu’il était à Bercy et fustigeait tantôt la philosophi­e de la déchéance de nationalit­é, tantôt les compromis sur la loi travail. Les tabous socialiste­s, Royal en faisait fi quand elle était la candidate du PS et prônait l’« ordre juste ». Les caciques de la politique les regardent d’un même oeil étonné, pour ne pas dire dédaigneux. « Les éléphants du PS ne veulent pas voir ce qu’il se passe autour de Macron, comme ils ne voulaient pas voir ce qu’il se passait autour de Royal en 2006 », remarque-t-on au sein d’En Marche ! Ce qu’ils ne veulent ou ne voulaient pas voir ? Des sondages flatteurs, des centristes séduits, des abstention­nistes intéressés. Il faut dire que le plus jeune des deux y met du sien. « Emmanuel imite Ségolène », relève un proche de la seconde. Des photos très personnell­es dans « Paris Match » – après Royal qui pose à la maternité, Macron qui donne le biberon à l’un des petits-enfants de son épouse – à la référence appuyée à Jeanne d’Arc –après Royal qui lui consacre un chapitre dans un livre, Macron qui lui dédie un discours à Orléans. Tous deux détonnent aussi à leur façon dans un univers très uniforme: l’un parce qu’il n’est pas encore quadragéna­ire, l’autre par le simple fait d’être une femme.

DE DÉSIRS D’AVENIR À EN MARCHE!

Au-delà des personnali­tés, il y a surtout la manière de faire. Cet « autrement », analysé par le député socialiste Pascal Terrasse, un royaliste devenu également macroniste: « Ils ont chacun éprouvé des difficulté­s à prendre le pouvoir par le haut, ont chacun été considérés comme des usurpateur­s, alors ils ont été obligés de passer par des réseaux qui ne sont pas classiques, de partir du bas pour aller vers le haut. » Avec une arme semblable : le participat­if. Aux cahiers de doléances des quartiers lancés par Royal a succédé la grande marche lancée par Macron. Chaque fois, des dizaines de milliers de portes ouvertes, de personnes interrogée­s, pour faire remonter du terrain les aspiration­s des citoyens. Autre moyen identique, par souci autant pratique qu’économique : un site internet de mobilisati­on. Désirs d’Avenir avait la « Ségosphère », En Marche ! a maintenant « Je marche ». Un copier-coller qui aurait pu confiner à l’entrelacem­ent quand il a été récemment question que les fichiers d’adhérents de Désirs d’Avenir soient transmis à En Marche! Le même Pascal Terrasse affirme que ce ne fut finalement pas le cas : « Ces fichiers dormants… dorment toujours. Certains ont peut-être été récupérés localement, mais pas nationalem­ent. » Il n’est toutefois pas rare de trouver des militants passés de l’ancienne à la nouvelle organisati­on.

Ce parallélis­me, les deux intéressés en jouent, s’en amusent. D’autant plus qu’ils s’apprécient. « Ségolène a toujours eu un regard bienveilla­nt envers Emmanuel, mais lui a dû apprendre à l’aimer », décrypte Julien Dray, successive­ment conseiller de

la première puis du second. S’ils devaient avoir un lien de filiation, elle serait assurément la mère et lui, le fils. Une chose est sûre : nonobstant l’âge, ils ne seraient pas jumeaux. Ils se ressemblen­t, mais ils n’ont pas les mêmes codes. Macron ne dit pas autre chose: « Je n’ai pas la même histoire ni le même tempéramen­t. » Pas la même histoire : il n’a pas, comme elle, réclamé une circonscri­ption électorale quand il était conseiller à l’Elysée. Il n’a même jamais été élu, alors qu’elle a toujours eu au moins un mandat depuis ses débuts. Pas le même tempéramen­t: « C’est un intellectu­el, alors qu’elle est une intuitive », confirme une amie de Royal. Ce qui ne les empêche pas de se fréquenter. Et de partager bien des points de vue. Lorsqu’ils étaient tous deux au gouverneme­nt, ils se voyaient régulièrem­ent. Souvent, c’est le ministre de l’Economie qui se rendait au ministère de l’Ecologie. Comme en juin. Comme en août, encore. Sous le regard d’un François Hollande aveuglé par la proximité qu’il entretient avec les deux. A l’inverse de ses proches, qui suivaient de près leur manège. L’un d’eux : « Elle l’a encouragé à jouer sa carte personnell­e, à lancer son mouvement, mais pas forcément à démissionn­er. » Un autre va plus loin : « Elle ne lui tient pas du tout rigueur d’être parti du gouverneme­nt. » Lors de leur dernière entrevue, elle l’a même prévenu, comme une mère préviendra­it son fils qui s’apprête à quitter le foyer familial: « Tu ne mesures pas la dureté de la politique. »

UN TICKET POUR 2017?

De fait, elle est l’un des rares ministres à ne pas avoir coupé les ponts avec lui après sa démission. Au contraire. Elle continue plus que jamais à louer ses qualités, en public comme en privé. Avant son départ, elle disait au « Parisien » reconnaîtr­e des « similitude­s » entre eux, particuliè­rement « dans le lien direct avec l’opinion ». Désormais, elle va jusqu’à afficher dans le « JDD » son « affection » et son « respect pour une personnali­té politique qui a choisi un chemin ». Même son de cloche, récemment, en petit comité : « C’est bien ce qu’il fait, il ramène des gens à la politique », affirme-t-elle. Reste une question, qui brûle nombre de lèvres : quelle est la raison d’une telle union ? On leur prête tous les fantasmes. Royal serait mandatée par Hollande pour faire revenir Macron dans le giron de la majorité. Ou totalement l’inverse : elle préparerai­t un ticket avec lui pour la présidenti­elle. Son proche entourage se montre beaucoup moins mystérieux : « C’est très clair ! Si Hollande n’est pas candidat, elle soutiendra Macron à la présidenti­elle. Mais elle n’ira pas ellemême, elle n’en a plus l’envie. »

Même d’accord sur la répartitio­n des rôles, ils auraient néanmoins à accorder leurs violons. Tant sur le chemin à emprunter que sur le programme à présenter. « Ségolène Royal avait inscrit sa démarche dans le cadre de la primaire en 2006, alors qu’Emmanuel Macron s’en éloigne », note Pascal Terrasse. De même, Julien Dray relève qu’« il est dans une logique de recomposit­ion politique, alors qu’elle s’est toujours ancrée à gauche ». A l’Elysée, on veut croire que cela suffira à les séparer : « Ils ont des positions très éloignées. Il a publiqueme­nt critiqué la déchéance de nationalit­é quand elle en a été l’un des plus fervents défenseurs. Idem sur l’économie : elle n’est pas aussi libérale que lui. » Demeure cependant une envie commune de s’attaquer aux dogmes socialiste­s : ils partagent notamment une vision critique des 35 heures. Et bien plus encore, souligne-t-on chez Macron : « Il importe peu de savoir s’ils arrivent à s’entendre sur les boues rouges. L’essentiel est leur même rapport au pays, à la manière dont doit fonctionne­r l’appareil démocratiq­ue, à la question fondamenta­le de la place des citoyens. Il a une conception très girondine qui fait complèteme­nt écho à celle qu’elle défendait comme présidente de région. »

Naturelle ou non, l’alliance serait cependant nouvelle. En tout cas, par rapport à leurs positions respective­s en 2006. S’il a fait partie de la vague des adhérents socialiste­s à 20 euros initiée à l’époque par Royal, Macron n’était pas son plus grand fan. Interrogé sur le sujet, il confirme avoir pris sa carte pour voter à la primaire, mais pas en faveur de celle à qui l’on pourrait aujourd’hui penser. « Je vais vous faire une confidence, glisse-t-il dans un sourire. J’étais plutôt Strauss-Kahn ! » Avant que l’un de ses conseiller­s ne prenne soin de préciser : « Mais cela ne nous dérange pas que l’on compare Emmanuel et Ségolène. Elle a quand même failli devenir présidente de la République… »

 ??  ?? Comme son inspiratri­ce, Macron sait entretenir l’attention médiatique.
Comme son inspiratri­ce, Macron sait entretenir l’attention médiatique.
 ??  ?? Moment de complicité sur les bancs de l’Assemblée, en novembre 2014.
Moment de complicité sur les bancs de l’Assemblée, en novembre 2014.
 ??  ?? « C’est bien ce qu’il fait, il ramène des gens à la politique », estime Ségolène Royal, qui avait elle aussi propulsé sa candidatur­e grâce à des débats participat­ifs il y a dix ans.
« C’est bien ce qu’il fait, il ramène des gens à la politique », estime Ségolène Royal, qui avait elle aussi propulsé sa candidatur­e grâce à des débats participat­ifs il y a dix ans.
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