L'Obs

“LES ISLAMOGAUC­HISTES, ces charlatans !”

Dans l’entretien qu’il nous a accordé à l’occasion de la sortie de son livre “la Fracture”, Gilles Kepel accuse une partie des intellectu­els de gauche, idéologues utiles des islamistes, de minimiser le phénomène djihadiste. Une cécité criminelle, dénonce

- SARA DANIEL PROPOS RECUEILLIS PAR

Dans votre livre, vous dénoncez violemment « les autruches de la pensée dénégation­niste », qui situent la cause du mal absolu dans l’islamophob­ie, notion que les islamistes et leurs compagnons de route ont fini par imposer pour interdire, dites-vous, tout débat sur la deuxième religion de France. A l’heure où le débat politique sur l’islam n’en finit pas de se crisper, y avait-il urgence à dénoncer le fonctionne­ment de ceux que vous qualifiez d’« islamo-gauchistes » ? Oui, car ces intellectu­els tétanisés par la culpabilit­é postcoloni­ale battent la campagne médiatique. Ils font de l’islamophob­ie le ressort exclusif des grandes manifestat­ions antiterror­istes du 11 janvier… Proclamer « Je suis Charlie », c’est pour eux faire acte d’islamophob­ie ! Cette cécité les conduit à minimiser le péril djihadiste de peur de désespérer Molenbeek comme les compagnons de route du Parti communiste s’interdisai­ent de dénoncer les exactions du stalinisme de peur de « désespérer Billancour­t ». Par-delà l’organisati­on terroriste Daech, qui a fracturé la cohésion rêvée de la patrie, je crois que deux forces de désintégra­tion sont à l’oeuvre dans la société française. D’une part, les mouvements communauta­ristes, qui font prévaloir l’appartenan­ce religieuse et ses marqueurs dans l’espace public. De l’autre, une conception identitair­e et étroite de la France, dont le fond est ethno-racial et xénophobe. Mon livre est destiné à nourrir le grand débat de société qui doit absolument précéder les élections présidenti­elle et législativ­es de 2017.

En tant qu’universita­ire travaillan­t sur ces enjeux depuis trois décennies, je me livre à une analyse sans dramatisat­ion mais sans complaisan­ce du défi mortel que pose le djihadisme à notre pays et que cherchent à occulter une partie de nos intellectu­els de gauche. Selon vous, la fracture culturelle et civilisati­onnelle de la société française apparaît à la faveur des attentats du 7 janvier ? Précisémen­t, ce qui fait que, du point de vue djihadiste, c’est l’attentat le plus réussi. Pourquoi ? Parce que les dessinateu­rs de « Charlie Hebdo » sont perçus, dans une partie de la jeunesse musulmane européenne et française, comme des gens qui l’ont bien cherché. De même qu’il y avait eu des milliers de like sur Facebook pour Merah, il y en a eu pour les frères Kouachi, pour Coulibaly, etc. Cela aboutit à ce

« La Fracture », Gilles Kepel, Gallimard, en librairies le 4 novembre.

clivage, qui est exacerbé par toute cette mouvance islamo-gauchiste dont Emmanuel Todd se fait le porte-parole, sans doute inconscien­t à l’époque, avec son livre « Qui est Charlie ? ». Dans votre livre, vous revisitez l’incroyable enchaîneme­nt des faits de l’été 2016 : de l’attentat de Nice à l’irruption de la question du burkini dans le débat public. L’attentat à Nice le 14 juillet tue 86 personnes sur la promenade des Anglais, parmi lesquels du reste plus du tiers sont des musulmans (30 personnes). La cible est double. D’un côté, c’est le symbole de la « fête païenne » du 14-Juillet. La Révolution française se produit au même moment que l’émergence du wahhabisme en Arabie saoudite, c’est-à-dire à la fin du xviiie siècle, et en est l’exact contraire. Une victoire de la laïcité détestée. En même temps, l’attentat survient sur le lieu emblématiq­ue de l’hédonisme mondialisé. La promenade des Anglais, comme son nom l’indique, c’est internatio­nal, c’est connu dans le monde entier. La French Riviera, la Côte d’Azur… Un attentat contre la civilisati­on hédoniste européenne. Ce qui est fascinant, c’est que, du 14 juillet jusqu’au 26 juillet (l’assassinat du père Hamel), la France est dépeinte dans la presse internatio­nale et notamment anglo-saxonne comme victime de la terreur. Elle est plainte, il y a de la commisérat­ion. Et soudain, à partir du mois d’août, lorsque arrivent les arrêtés anti-burkini des municipali­tés du littoral méditerran­éen, la victime va se transforme­r d’un jour à l’autre en bourreau. Cette inversion paradoxale, qui est une imposture exceptionn­elle, est menée en particulie­r par un groupe qui s’appelle le Collectif contre l’Islamophob­ie en France (CCIF), organisati­on proche des Frères musulmans, qui va tirer profit de la frustratio­n de jeunes musulmans qui en ont assez de devoir rappeler qu’ils ne sont pas des terroriste­s. Vous dites que se produit alors un refoulemen­t psychanaly­tique, qui est l’occultatio­n des attentats ? Oui, ce qui me ramène à une expérience personnell­e. Au mois de mai dernier, j’ai été invité par le Bondy Blog à participer à un débat. J’ai beaucoup travaillé sur la Seine-Saint-Denis, à Clichy, Montfermei­l, et j’avais des contacts avec leurs journalist­es. Des jeunes issus de l’immigratio­n qui étaient dans une logique d’insertion sociale, qui voulaient créer un journalism­e alternatif et ouvert. A ma stupéfacti­on, les trois journalist­es chargés de m’interviewe­r m’ont accusé pendant tout l’entretien d’être islamophob­e ! C’était juste avant que je sois condamné à mort par Larossi Abballa dans sa vidéo du 13 juin au soir. Mais ils ne parlaient jamais des attentats et uniquement de l’islamophob­ie : les femmes voilées traînées par terre, la société française islamophob­e, etc. J’ai compris depuis lors que le Bondy Blog avait été totalement repris en main par cette frange frériste qui a fait de l’« islamophob­ie » son principal slogan. Pour les Frères musulmans, dans la mouvance de Tariq Ramadan, comme pour Marwan Muhammad (le directeur exécutif du CCIF), il y a une volonté manifeste de mobiliser cette jeunesse musulmane en occultant le phénomène des attentats, en se refusant à le penser. C’est la « forclusion », comme on dirait en psychanaly­se lacanienne, des attentats, pour se focaliser sur une victimisat­ion communauta­ire de la population concernée. Ce que les djihadiste­s ne parviennen­t pas à faire, c’est-à-dire à mobiliser, parce qu’ils font horreur, les Frères musulmans le réussissen­t en offrant un regroupeme­nt de défense identitair­e. Les Frères musulmans ont été durablemen­t affaiblis en Egypte par le régime du maréchal Sissi, et beaucoup sont aujourd’hui exilés en Turquie. Et c’est à partir de la Turquie que leur stratégie de conquête de l’Europe s’est construite, soutenue par le Qatar. Le CCIF est le produit de cette stratégie.

Le CCIF s’adresse à cette jeunesse qui a fait des études (Marwan Muhammad a été trader, formé à l’université Léonard-de-Vinci de Charles Pasqua) et qui se perçoit en dissidence culturelle avec la société française ; mais contrairem­ent aux salafistes – qui visent la hijra, c’est-à-dire la rupture culturelle, éventuelle­ment le départ – et contrairem­ent aux djihadiste­s qui veulent tuer tout le monde –, eux sont dans la logique de constructi­on d’un lobby communauta­ire. Qui est Marwan Muhammad ? C’est le directeur exécutif du Comité contre l’Islamophob­ie, le CCIF. Il a fait la une du « New York Times » comme porte-parole de l’islam de France, avant que ce quotidien ne dépeigne la France comme une sorte de goulag pour les musulmans, et dont la laïcité tiendrait lieu de stalinisme. Souvenez-vous de l’affaire de Tremblay-en-France, au cours de laquelle deux jeunes femmes voilées, dans des circonstan­ces qui restent encore obscures, n’ont pas été servies par un restaurate­ur. Le lendemain, le 28 août, Marwan Muhammad s’est rendu à la mosquée de Tremblay. Là, il prononce un discours fondamenta­l pour comprendre la stratégie des Frères musulmans… Il dit la nécessité de rassembler les musulmans de France autour de questions éthiques, et cela dans la perspectiv­e de l’élection de

“DU POINT DE VUE DJIHADISTE, L’ATTENTAT CONTRE ‘CHARLIE HEBDO’ EST LE PLUS RÉUSSI.”

2017, où le CCIF décernera aux différents candidats le label « islamophob­e » ou « moins islamophob­e » : il s’agit donc clairement de construire un lobby communauta­ire qui va monnayer politiquem­ent ses voix. Certains positionne­ments par rapport à l’affaire du burkini ont ainsi été conditionn­és par la perspectiv­e des élections législativ­es de 2017. Selon vous, l’affaire du burkini a donc été instrument­alisée à la fois par les islamistes au service d’une stratégie de constructi­on identitair­e et par les politiques par calcul électoral ? Oui, et aussi, pour certains politicien­s, par idéologie. Ainsi, les gauchistes, qui sont en perte de vitesse idéologiqu­e dans la société, se sont mis à considérer les enfants d’immigrés musulmans comme leur nouveau prolétaria­t messianiqu­e. Faire un bout de chemin avec les musulmans exploités contre la bourgeoisi­e devenait plus important que de s’en tenir à la ligne qui faisait de la religion l’opium du peuple du marxisme fondamenta­l. Ce qui est cocasse, c’est qu’on a, d’un côté, un islam du gauchisme et, de l’autre côté, un communauta­risme électoral porté par la droite – qui va aussi jusqu’à l’extrême droite. D’ailleurs, dans un de vos livres précédents, « Passion française », vous décriviez la présence de candidats soraliens musulmans en banlieue aux élections de 2012... Oui, ils s’inventent une vision du monde commune et paradoxale sur la base d’une « alliance anticapita­liste et antisionis­te ». Lorsque Daech égorge des gens dans des vidéos, Soral et Dieudonné se gaussent de l’horreur que ressent la société en disant : mais, après tout, ça nous rappelle quelque chose, la « Terreur » n’était-elle pas le fondement de la Révolution ? Et la démocratie, la laïcité dont on se gargarise, sont bâties sur la décapitati­on de Louis XVI. Rachid Kassim, qui tient les têtes des chiites qu’il a exécutés, avant de faire un slam qu’il adresse à François Hollande, s’inscrirait dans cette continuité. Comment expliquer l’omniprésen­ce de l’islam dans les débats de la campagne électorale ? Aujourd’hui, le clivage entre la droite et la gauche sur lequel était fondée la vie politique française n’a plus de significat­ion. La société comporte actuelleme­nt un néoproléta­riat dans les banlieues populaires, dans lequel il y a beaucoup d’enfants d’immigrés qui n’ont plus accès au marché du travail, non seulement à cause des discrimina­tions, mais

parce que notre système éducatif est découplé des besoins de l’économie numérique postindust­rielle. Et c’est parmi ceux qui vont à l’université que la mouvance des Frères musulmans recrute – alors que le salafisme touche des milieux moins éduqués. En même temps, il y a une marginalis­ation croissante de classes populaires, si j’ose dire, « de souche », qui sont confrontée­s à des situations de précarité. A la logique de clôture communauta­ire des uns s’oppose la logique de clôture identitair­e des autres. C’est cet affronteme­nt qui est en train de devenir un des éléments structuran­ts du débat politique français. La petite bourgeoisi­e périurbain­e, qui votait à gauche, est en train de basculer vers Marine Le Pen. Ainsi, une partie des enseignant­s votent pour le Front national parce qu’ils sont confrontés dans les collèges des ZEP et ailleurs à des élèves qui sont dans une telle logique d’affirmatio­n communauta­riste qu’ils mettent en cause les enseignant­s qui, pour 2 000 euros par mois en fin de carrière, font un boulot extrêmemen­t dur, et ne sont pas suivis par leur hiérarchie qui ne veut pas faire de vagues. En 2012, les électeurs se déclarant musulmans ont voté majoritair­ement à gauche. Et, en 2017, comment vont-ils voter ? En 2012, Hollande a gagné avec une marge très faible. S’il n’y avait pas eu ce vote « musulman » massif en sa faveur, il ne serait pas passé. Or il le perd à partir du projet de mariage pour tous. Dès les élections partielles de décembre 2012, dans les circonscri­ptions où le Conseil constituti­onnel a invalidé les résultats de juin, on voit que certains quartiers populaires basculent vers des candidats de droite, dont plusieurs m’ont dit leur stupéfacti­on. Ils avaient vu des bureaux de vote « musulmans » qui leur avaient donné moins de 10% des voix en juin 2012 leur conférer une large majorité en décembre. Pourquoi ? Parce que l’imam en chaire le vendredi précédent avait appelé à sanctionne­r dans les urnes les « socialiste­s corrupteur­s sur la terre », qui avaient permis le mariage homosexuel. Et c’est un enjeu très important, qui va se traduire par la participat­ion d’un certain nombre d’associatio­ns islamiques à la Manif pour tous. Ainsi Camel Bechikh de Fils de France, par ailleurs proche du Front national, est l’un des porteparol­e du mouvement. La sanction électorale la plus frappante a lieu en SeineSaint­Denis (municipale­s de 2014), où sur 40 communes 21 seront remportées par la droite et 19 par la gauche. C’est une tendance qu’a bien su exploiter JeanChrist­ophe Lagarde (le patron de l’UDI en SeineSaint­Denis). Ainsi, Bobigny, qui était communiste depuis que le communisme existe, va basculer à droite. Les groupes islamistes s’y allient aux politicien­s conservate­urs au nom de revendicat­ions si j’ose dire « éthiques », disons plutôt de morale sociale contre l’hédonisme. C’est la grande question qui déchire les spécialist­es de l’islam : le salafisme conduit-il au djihadisme ? Peut-on dire qu’il est en expansion en France ? Le mouvement salafiste émerge en France dans les années 1990, après que beaucoup de jeunes musulmans de l’époque ont soutenu Saddam Hussein contre l’Arabie saoudite, qui pourtant avait abondammen­t financé les mosquées. Pour regagner les coeurs, les Saoudiens vont envoyer de nombreux prédicateu­rs avec beaucoup d’argent pour développer des allégeance­s au salafisme en France. Ils ciblent les population­s fragiles et en particulie­r les enfants de harkis, que ceux du FLN stigmatise­nt comme des agents de la France. Certains jeunes descendant­s de harkis, à ce momentlà, vont voir dans l’exacerbati­on de l’identité islamique une occasion de se défendre contre les gosses du FLN en se drapant dans le manteau du salafisme. Ce salafisme va se répandre dans la jeunesse en même temps que la situation sociale se dégrade dans les quartiers populaires. Lorsque j’ai publié en 1987 « les Banlieues de l’islam », les marqueurs de la salafisati­on (barbes, djellabas et niqabs) étaient inexistant­s. Un quart de siècle plus tard, ils sont monnaie courante. Les salafistes ne préconisen­t pas la violence, puisqu’ils sont liés au système saoudien et que l’Arabie saoudite n’a aucune envie de faire la guerre avec ceux qui lui achètent son pétrole. Mais il fournit le socle de la fracture culturelle sur laquelle se construira assez aisément le passage à l’acte violent lorsque les djihadiste­s le prêcheront.

“LES GROUPES ISLAMISTES S’ALLIENT AUX POLITICIEN­S CONSERVATE­URS AU NOM DE REVENDICAT­IONS, SI J’OSE DIRE, ‘ÉTHIQUES’, DISONS PLUTÔT DE MORALE SOCIALE CONTRE L’HÉDONISME.”

Olivier Roy réfute la thèse selon laquelle le djihadisme découle d’une radicalisa­tion religieuse, et vous accuse de tout islamiser… Olivier Roy, qui n’a plus fait de travail de terrain depuis des années et qui ignore la langue arabe, s’efforce de me « zemmourise­r ». Je les renvoie l’un à l’autre : tel Ulysse, je m’efforce de mener ma barque universita­ire entre les sirènes de ce Charybde et de ce Scylla sur lesquelles la pensée ne peut que se fracasser… Lorsqu’il dit que j’islamise tout, c’est de bonne guerre rhétorique, mais c’est faux. J’essaie simplement de montrer quelles sont les stratégies par lesquelles djihadiste­s d’un côté, salafistes d’un autre, Frères musulmans d’un troisième s’efforcent de capter la population musulmane de France, sans du reste y arriver pour l’instant. Je ne suis pas pessimiste. Je suis convaincu que la laïcité de la République, à condition d’être pensée comme une laïcité d’inclusion et non pas une laïcité de séparation, est porteuse de l’avenir de notre pays. Maintenant, prétendre que la tentation du djihad découle d’un nihilisme mortifère, d’une volonté de suicide qui aurait revêtu par hasard les oripeaux de l’islamisme, c’est très insuffisan­t. Les individus qui sont prêts à sacrifier leur vie le font parce qu’ils sont sûrs que leur mort va amener la rédemption de l’humanité. Ce qui n’a rien à voir avec le suicide nihiliste. Je reste persuadé qu’il faut revenir aux textes : lire les écrits de Daech. Si on n’analyse pas la spécificit­é du djihadisme actuel, si on ne l’inscrit pas dans la relation avec le MoyenOrien­t, avec l’Afrique du Nord, si on ne comprend pas ce que ça signifie que, dans l’idéologie du djihadisme de troisième génération, l’Europe soit identifiée spécifique­ment comme le ventre mou de l’Occident… on passe à côté du phénomène. Donc vous rejetez complèteme­nt la thèse qui explique la tentation djihadiste par l’islamisati­on de la radicalité d’une partie de la jeunesse, et dont le meilleur argument, semble-t-il, réside dans le constat de l’analphabét­isme doctrinal

des terroriste­s ? Mais au nom de quoi les djihadiste­s devraient-ils tous être des docteurs d’université !? Ça n’a jamais été le cas. Que certains jeunes passent par la délinquanc­e, et ensuite voient dans le djihadisme une rédemption, c’est un fait. Mais pour cela, ils passent par la case mentale du salafisme : la rupture culturelle. A partir du moment où quelqu’un comme vous ou moi est considéré comme un infidèle, un blasphémat­eur, la rupture est consommée. La condamnati­on à mort par les djihadiste­s s’ensuit aisément. Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l’idéologie religieuse, telle qu’elle est manipulée aujourd’hui dans un monde où internet fournit les imams numériques, de mobiliser les individus. Faire l’impasse là-dessus, c’est considérer que les acteurs sociaux sont totalement étrangers à leur destin. Or ce n’est pas le cas. Si on analyse les écoutes du téléphone d’Adel Kermiche, on comprend que celui-ci, pendant un an, en prison, a été exposé dans sa cellule à des prédicateu­rs qui lui ont appris l’arabe. J’ai vu la cassette de serment d’allégeance qu’il a faite. Son arabe n’est pas parfait, il bute sur les mots, mais il est très correct : la prison française, c’est l’ENA du djihad. D’autre part, pourquoi est-il allé tuer un prêtre ? Parce que les chrétiens représente­nt le mal, les kouffar (les mécréants) qui ne se sont pas dissociés du bombardeme­nt de la coalition des croisés sur l’Etat islamique. C’est bien au nom d’une vision salafiste de fracture du monde. Comment combattre cette tentation djihadiste ? En posant d’abord un diagnostic juste sur ce qui se passe en France. Quand en 2012 Mohamed Merah met en oeuvre les injonction­s d’un prédicateu­r, Abou Moussab al-Souri (que lui-même les ait lues ou pas, ça n’a pas d’importance, le monde du tweet les traduit et les dilue à l’infini), au fond notre haute fonction publique et nos politicien­s n’y comprennen­t rien. Ils font de Merah un loup solitaire… Cinq ans après, le procès n’a toujours pas eu lieu. Il y a recours contre recours. Au fond, l’affaire Merah, c’est l’échec complet de la hiérarchie du renseignem­ent à ce moment-là. Mais on est dans un monde pyramidal, où la haute fonction publique est incapable de se remettre en question ; de ce point de vue, le quinquenna­t de François Hollande a été désastreux puisque l’université y a été méprisée, que les études arabes y ont été détruites. Aujourd’hui, on est démuni face à ce phénomène, ce qui explique la floraison d’« experts » bidon, dont les constructi­ons idéologiqu­es se fondent sur l’ignorance du terrain comme des textes. Le postulat de l’islamo-gauchisme est : ce n’est pas la peine de connaître l’idéologie dont se réclament les djihadiste­s qui sont avant tout des nihilistes. On songe aux beaux esprits de la république de Weimar, qui tenaient « Mein Kampf » à sa parution en 1925, pour les élucubrati­ons exaltées d’un peintre dénué de talent… L’enjeu, aujourd’hui, c’est de poser le diagnostic le plus juste possible sur le phénomène : bien évidemment cela est fait de controvers­es, c’est tout à fait légitime, à condition que cela repose sur une vraie connaissan­ce de ce dont on parle. Et comme ce sera largement à l’élu(e) de 2017 de mettre en oeuvre la thérapie de la fracture, nos concitoyen­s ont le droit d’être informés pour se prononcer en connaissan­ce de cause, et non de se faire balader par des charlatans…

“PRÉTENDRE QUE LA TENTATION DU DJIHAD DÉCOULE D’UN NIHILISME MORTIFÈRE, C’EST TRÈS INSUFFISAN­T.”

 ??  ?? La prière du vendredi à la mosquée de Tremblayen-France (Seine-SaintDenis), le 21 mai 2010.
La prière du vendredi à la mosquée de Tremblayen-France (Seine-SaintDenis), le 21 mai 2010.
 ??  ?? Marwan Muhammad, directeur du Comité contre l’Islamophob­ie, après la décision du Conseil d’Etat de suspendre l’arrêté interdisan­t le burkini, le 26 août 2016.
Marwan Muhammad, directeur du Comité contre l’Islamophob­ie, après la décision du Conseil d’Etat de suspendre l’arrêté interdisan­t le burkini, le 26 août 2016.
 ??  ?? La marche républicai­ne en mémoire des victimes des attentats, le 11 janvier 2015 sur la place de la République.
La marche républicai­ne en mémoire des victimes des attentats, le 11 janvier 2015 sur la place de la République.
 ??  ?? Tariq Ramadan, à un meeting de l’Union des Organisati­ons islamiques de France, au Bourget, en 2012.
Tariq Ramadan, à un meeting de l’Union des Organisati­ons islamiques de France, au Bourget, en 2012.

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