L'Obs

Tesson bat la campagne

L’auteur de “Berezina” a sillonné la France en suivant des chemins de traverse. Il en a tiré un petit livre assez naïf

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

SUR LES CHEMINS NOIRS, PAR SYLVAIN TESSON, GALLIMARD, 146 P., 15 EUROS.

Pendant des années, Sylvain Tesson s’est pris pour Tintin. Il a joué les aventurier­s « entre Oulan-Bator et Valparaíso », séjourné en Sibérie, traversé la Russie sur une moto sans rien voir. Puis il a fait une grande découverte : la France, ce pays qui lui semblait jusque-là si étriqué. A vrai dire, le malheureux n’a pas tellement choisi sa destinatio­n. Son itinéraire d’enfant gâté a basculé quand, en une année, il a perdu sa mère, s’est « cassé la gueule d’un toit où [il] faisai[t] le pitre », a passé quatre mois à l’hôpital. Il en est sorti « la colonne cloutée de vis et le visage difforme ». Il fallait alors de l’énergie pour aller, à pied, du Mercantour à la Hague, mais Tesson a de l’énergie.

L’effort physique ne lui a jamais fait peur. Les grands mots non plus. Il a donc suivi « les chemins noirs » d’une « géographie de traverse », « loin des routes », pour renouer avec « une France ombreuse épargnée par l’aménagemen­t, qui est la pollution du mystère ». Traduction : il est parti en randonnée, une carte IGN sous le bras, pour « disparaîtr­e ». Résultat : il publie un livre qui, entre quelques beaux paysages bucoliques, parle essentiell­ement de Sylvain Tesson et de son fantasme bobo d’une France de carte postale.

Quand Tesson voit un berger, il lui trouve forcément « l’allure d’un héros de Giono » et lui dit : « Salut, tu vas à la ville ? » Quand il croise des vaches, il leur « lance ses cris d’amour » et s’émerveille d’« obtenir parfois un long meuh en réponse ». Quand il aperçoit un type bourré soutenu par sa femme, il applaudit « une vision charmante – si russe ». Et partout, nostalgiqu­e de la merveilleu­se époque médiévale, il se lamente des ravages du Progrès, « cette farce », sans s’aviser qu’au Moyen Age l’hôpital public ne l’aurait peut-être pas aussi bien rafistolé qu’aujourd’hui. Au fond, Tesson est comme tous les touristes, un grand adolescent romantique qui rêve d’un univers immuable où chacun resterait à sa place, et que lui seul aurait le droit d’arpenter. C’est humain, quand on voit ce que le xxie siècle nous réserve. Quand on prétend disserter sur le sens de l’histoire, comme le fait Tesson à chaque page, c’est un peu court.

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