L'Obs

Présidenti­elle Bayrou, l’épouvantai­l préféré de Sarkozy

Les attaques répétées de Nicolas Sarkozy contre le maire de Pau visent à mobiliser ses troupes contre celui qui a voté Hollande en 2012. Mais elles révèlent aussi l’inquiétude du camp de l’ex-président face à la candidatur­e d’Alain Juppé

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Bayrou est tout sourire. « Tout cela est un peu stupéfiant, confie-t-il à “l’Obs”. Vous connaissez le proverbe: quand le doigt montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. » Autrement dit : « Ce n’est pas moi qui suis visé, c’est Juppé. » Ce 5 novembre, le maire de Pau fait allusion à l’invraisemb­lable conférence de presse organisée au QG de Nicolas Sarkozy trois jours auparavant. Pas moins de huit de ses lieutenant­s, dont François Baroin et Eric Woerth, dénoncent alors François Bayrou, « acteur masqué » de la primaire, incarnatio­n de la « trahison », du « centre girouette » ou de l’« anti-réformes ». Au même moment, Nicolas Sarkozy poste sur Facebook un long message accréditan­t l’idée que le maire de Pau pourrait devenir l’homme clé de la prochaine majorité si son voisin de Bordeaux, qu’il soutient, l’emportait. « Alain Juppé souhaite en faire son compagnon d’alternance, en négociant avec lui une centaine de circonscri­ptions… On ne peut accepter ces alliances négociées secrètemen­t, parce que ce sont les Français qui en paieront le prix », accuse l’ancien président. Sans qu’on sache d’où sorte ce chi re, « complèteme­nt pipeau », a rmet-on chez Juppé.

Cette attaque au bazooka n’est pas pour déplaire à Bayrou. Le patron du MoDem, un mouvement vidé de ses élus et de ses militants, est soudain devenu le huitième homme de la primaire de la droite! L’homme qui fait peur. Celui qui est sur toutes les langues qui fourchent. Tout ça, grâce à Sarkozy, son meilleur ennemi, ex-balladurie­n comme lui, mais pour lequel il refusa de voter en 2007 avant de publier un livre-réquisitoi­re, « Abus de pouvoir », une fois « Sarko » installé à l’Elysée. Sur Facebook, fin octobre, Bayrou a d’ailleurs repris sa plume la plus acerbe pour dénoncer son « mépris du peuple considéré comme une troupe qu’il convient de mener par les plus bas des sentiments, ceux du rejet et de l’insulte ». Les amis de l’ancien président ont trouvé la charge « violente ». Réplique ironique de Bayrou via « l’Obs » : « Je comprends

que l’on soit touché par le sort de Nicolas Sarkozy, bien connu pour sa douceur extrême. Le voir attaqué par un voyou comme moi, c’est émouvant ! »

Qui a peur du grand méchant Bayrou? Dans l’équipe Sarkozy, l’idée de lancer à nouveau l’offensive contre le patron du MoDem a émergé à la mi-octobre après une interview… d’Alain Juppé. Sur Europe 1, le favori de la primaire explique qu’il renégocier­a les investitur­es aux législativ­es, décidées par Sarkozy au printemps dernier, pour faire de la place aux centristes. Une ligne fidèle au rassemblem­ent de la droite et du centre que le maire de Bordeaux prône depuis son entrée en campagne. Et un signe envers les centaines d’élus UDI qui lui ont apporté leur soutien quelques jours plus tôt. Chez Sarkozy, on voit vite le bénéfice politique à tirer de ce qu’on considère comme « une faute ». « On s’est vus en réunion le lendemain, on était plusieurs à avoir les mêmes remontées de terrain très négatives sur ce qu’avait dit Juppé », raconte Gérald Darmanin, directeur de campagne. Le jeune maire de Tourcoing a lui-même reçu la visite d’un collègue élu du Nord venu lui dire aussitôt : « Je n’aime pas Sarko, mais je hais encore plus le MoDem…»

Pour l’ancien président, agiter à nouveau l’épouvantai­l Bayrou, comme il l’avait déjà fait lors de sa campagne pour la présidence de l’UMP, présente plusieurs avantages. Il mobilise d’abord le noyau dur de son électorat. Celui qui, dans ses salles de meeting, siffle le Béarnais autant que Christiane Taubira, sans même qu’il soit besoin de rappeler son soutien à François Hollande entre les deux tours de la dernière présidenti­elle. Avec le risque de mobiliser en réaction les électeurs du centre? Dans l’équipe Sarkozy, on ne croit guère aux « hordes » de sympathisa­nts UDI ou MoDem allant voter les 20 et 27 novembre : « Il y a peut-être 4 millions de centristes cachés dans les caves qui vont sortir en pull mohair après le brunch… »

Autre bénéfice de l’opération: parler d’autre chose que des affaires qui collent à la peau de l’ancien président, actuelleme­nt donné battu dans les sondages. « Lors du deuxième débat télé, on n’a pas parlé de Bygmalion ni de Buisson, c’est plutôt Sarkozy qui a porté les accusation­s que l’inverse », note un lieutenant. Et puis, si ça permet, en prime, de semer un peu la zizanie au centre… La mise en avant de Bayrou, se réjouit-on chez Sarkozy, suscite déjà l’ire du centriste Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI, autre soutien de Juppé qui se sent éclipsé…

Dans le camp de l’ancien président, on veut surtout mettre sur la table un vrai problème politique : quel serait le rôle de Bayrou dans la future majorité ? Sera-t-il le grand manitou d’un centre recomposé après la présidenti­elle comme il en rêve ? L’homme sans lequel Juppé ne pourra pas gouverner, l’empêcheur de réformer en rond ? « Les députés sortants, réinvestis, soutiennen­t majoritair­ement Sarkozy, pointe Rachida Dati. Si Juppé passe, il voudra rééquilibr­er, il aura besoin que le groupe centriste soit fort. » D’après les calculs sarkozyste­s, le centre pourrait même espérer se retrouver avec plus d’une centaine de députés, contre 28 UDI et un seul MoDem aujourd’hui…

Le message aux électeurs est donc clair : « l’alternance franche » serait incarnée par Sarkozy, à la différence de « l’alternance molle » du soi-disant ticket aquitain. Le président du MoDem ne s’était-il pas prononcé par le passé pour le droit de vote des étrangers ? (Sarkozy lui-même s’était prononcé en sa faveur il y a dix ans…) Bayrou n’est-il pas favorable à la proportion­nelle? Enfin, ne s’était-il pas opposé à la réforme des retraites en 2010 ? Et tant pis si Juppé dit haut et fort qu’il n’a rien promis et n’a pas l’intention de renoncer au report de l’âge de la retraite ou à la suppressio­n de l’ISF. L’important est d’associer les deux.

Cette stratégie portera-t-elle ses fruits ? D’anciens sarkozyste­s en doutent : « Bayrou, ce n’est pas ma came, mais ce discours est suicidaire: un ancien président doit rassembler, pas soustraire. » Les proches du maire de Bordeaux y voient le signe que la panique gagne le camp d’en face. « C’est une campagne outrancièr­e, violente, diffamante, uniquement sur des sujets clivants, qui fait de Bayrou le bouc émissaire. C’est oublier que l’état d’esprit dans le pays, ce n’est pas “au secours, Bayrou revient!”, mais plutôt “au secours, Sarko revient !” » Quant à l’accord avec les centristes, le favori des sondages préfère évacuer le sujet pour l’heure et le renvoyer à l’après-primaire… Son porte-parole, Benoist Apparu, fixe cependant le cadre:« Juppé veut-il donner un groupe charnière aux centristes et faire en sorte que Les Républicai­ns ne soient pas majoritair­es seuls? Cela n’a jamais été prévu! Cela posé, pourquoi n’y aurait-il aucune place pour le MoDem aux législativ­es alors que dans toutes les régions de France, Nicolas Sarkozy lui en a fait, comme chez Laurent Wauquiez ou Christian Estrosi ! Elle n’est pas franche là-bas, l’alternance? Ne racontons pas de sornettes! Il faut être honnête vis-à-vis des électeurs. »

Aucun accord législatif n’existe pour l’instant, assure le maire de Pau qui prévient toutefois qu’il faudra une « majorité plus large et plus équilibrée » que les seuls députés LR, même s’ils sont majoritair­es. D’ailleurs, il aurait dans ses cartons une liste de 250 candidatur­es possibles. Au moins. Lorsque Sarkozy présente Juppé comme le futur « otage » de Bayrou, celui-ci, provoc, retourne la question : « Juppé ne sera-t-il pas plutôt l’otage des sarkozyste­s ? » Preuve que le fondateur du MoDem entend bien peser dès le lendemain de l’élection et entreprend­re l’unificatio­n du centre dont il se voit en futur leader. Dans cette affaire, Bayrou, qui envisage de repartir pour un tour, a déjà gagné une chose: si d’aventure Juppé n’était pas désigné, sa propre campagne pour 2017 est d’ores et déjà lancée.

“SI JUPPÉ PASSE, IL AURA BESOIN QUE LE GROUPE CENTRISTE SOIT FORT.” RACHIDA DATI

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 ??  ?? Le patron du MoDem et l’ancien président, dans le Sud-Ouest, en 2010. Le premier soutient aujourd’hui Alain Juppé.
Le patron du MoDem et l’ancien président, dans le Sud-Ouest, en 2010. Le premier soutient aujourd’hui Alain Juppé.
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