L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au

- par MATTHIEU CROISSANDE­AU M. C.

PRÈS D’UN FRANÇAIS SUR CINQ NE CACHE PLUS DÉSORMAIS SA PRÉFÉRENCE POUR UN RÉGIME AUTORITAIR­E.

C ’est un sondage très inquiétant que vient de faire paraître le journal « le Monde » en ce début de campagne présidenti­elle : l’attachemen­t des Français à la démocratie baisse. Et de façon significat­ive. Selon cette enquête menée par l’institut Ipsos, seuls les deux tiers de la population en âge de voter considèren­t que la démocratie est le meilleur système possible. Ils étaient trois quarts en 2014. Mais il y a beaucoup plus inquiétant: près d’un Français sur cinq ne cache plus désormais sa préférence pour un régime autoritair­e. Autoritair­e, oui, vous avez bien lu !

Faut-il être à ce point désespéré, avoir la mémoire courte ou être sourd aux désordres du monde pour souhaiter l’avènement, en toute conscience, d’une forme de césarisme ? Rappelons à tous ces déçus que la démocratie, selon la célèbre formule de Churchill, est peut-être le pire des systèmes à l’exception de tous ceux qui ont été tentés par le passé ! Il suffit d’ouvrir les yeux, tout près de nous, pour se rendre compte de la réalité d’un régime autoritair­e. Aux portes de l’Europe, la Turquie, qui accorda le droit de vote à ses citoyennes bien avant la France jette aujourd’hui opposants et journalist­es en prison, tandis que, au sein même de l’Union, la Hongrie, la Pologne et demain – qui sait ? – peutêtre bien l’Autriche ont pris un virage autocratiq­ue et répressif qui ne présage rien de bon.

La France n’est pas une exception. Sa démocratie n’est pleine et entière que depuis soixante-dix ans. Elle a toujours eu le culte du chef à travers une forme de monarchie républicai­ne qui faisait jusque-là sourire dans les salons. Cette fois-ci pourtant, l’heure est beaucoup plus sombre. Quatre décennies de crise économique et sociale ont sapé la confiance de nos concitoyen­s dans leurs institutio­ns. Sur des registres très différents, la mondialisa­tion ultralibér­ale, les blocages européens ou encore la récente montée de la menace terroriste ont agi comme autant de révélateur­s de l’impuissanc­e de nos gouvernant­s.

L’entre-soi cultivé par la classe politique, l’absence d’alternativ­e et le manque de renouvelle­ment ont achevé de discrédite­r nos représenta­nts, qui paraissent toujours plus décalés des aspiration­s du peuple. Qu’un élu ignore le prix du pain au chocolat n’est pas seulement ridicule, mais dévastateu­r, tant cette méconnaiss­ance souligne le fossé qui sépare désormais la population de ses élites, ceux qui font leurs courses euxmêmes et les autres… Ce procès est évidemment injuste quand on mesure, sur le terrain souvent, le travail de fourmi qu’accompliss­ent beaucoup d’élus locaux par exemple. Mais, dans une campagne présidenti­elle saturée par la démagogie et les raccourcis faciles, comme en témoigne la désolante primaire de la droite, les candidats et les partis qui les soutiennen­t ont une responsabi­lité immense. On l’a vu avec le Brexit, aucun pays n’est à l’abri d’une réaction de rejet aussi profonde que puissante. Et surtout pas la France. (1) « Les Français, la démocratie et ses alternativ­es », sondage réalisé du 21 au 25 octobre auprès de 1 002 personnes.

Newspapers in French

Newspapers from France