Le mal de mère
L’ABSENTE, PAR LIONEL DUROY, JULLIARD, 356 P., 20 EUROS.
Lionel Duroy (photo) appartient à la famille littéraire des ruminants. Cela fait plus d’un quart de siècle qu’il remâche jusqu’à plus faim l’histoire de sa famille, qu’il en régurgite jusqu’à l’indigestion les secrets et les haines, les chagrins et les colères. Depuis « Priez pour nous » (1990), chacun de ses livres, abusivement appelés romans, est une nouvelle version, de plus en plus volumineuse et volcanique, de la catastrophe originelle – une famille déclassée et déplacée d’aristos catho-réacs, un père bonimenteur, une mère neurasthénique, une ribambelle de dix enfants qui grandissent dans les gravats d’une cité –, et des drames conjugaux de l’auteur. Sans compter les procès en diffamation, au propre ou au figuré, que lui intentent non seulement ses frères et soeurs, mais aussi ses enfants. L’entreprise, unique en son genre, est vertigineuse. Pour Lionel Duroy, malade à en crever de son passé, qui ne peut décidément écrire que sur lui et les siens. Et pour ses lecteurs fidèles, qui n’ignorent plus rien de sa parentèle dont il est le chroniqueur éruptif et itératif.
Aujourd’hui, c’est sur la figure de la mère qu’il remet son ouvrage. Une mère haïe que, de livre en livre, il a traitée de folle, d’hystérique, d’idiote, de mal-aimante, et sur laquelle il décide soudain d’enquêter dans l’espoir, qui sait, de réviser le terrible jugement qu’il a toujours porté sur elle. Il prend le volant de sa fidèle Peugeot (la marque de famille depuis la 203 paternelle), alourdie par toutes les affaires personnelles qu’il y a entassées et sur le toit de laquelle il a placé ses deux meilleurs vélos, un Dangre et un Singer. Au terme d’un road-trip qui le mène jusqu’à Bordeaux, via Fougères, Verdun et Moulins, il s’arrête devant le château familial de Cestas, où sa mère a grandi et où, sous un nom d’emprunt, il se fait engager comme ouvrier. Il va alors découvrir, avec stupéfaction, la jeune fille amoureuse qu’elle fut bien avant qu’elle ne devienne la Castafiore hallucinée dont, petit, il ne supportait ni les hurlements ni les chantages au suicide. Ce roman de la presque résilience vaut autant pour l’épilogue, et son lot de révélations, que pour le long périple à travers la France où Augustin, le double de Lionel Duroy, qui continue de vouloir « faire de sa vie une oeuvre », se cherche, s’égare, se néglige, se déleste, se relève, s’abandonne à une groupie, s’imagine propriétaire d’une station-essence, se repasse en boucle le film de son enfance, se fuit et se trouve. Un oeil sur l’horizon, l’autre dans le rétroviseur, le coffre bourré de souvenirs et le vide-poche, de Lexomil, il avance, plus seul que jamais, en reculant. C’est ainsi que, à 67 ans, il se ressemble vraiment.