L'Obs

L’anti-Petit Prince

- JÉRÔME GARCIN

C’est un roman gai sur un enfant triste. Il se prénomme Antoine et il est né par accident. On appelle accident la rencontre improbable, bien avant le Brexit, entre Rudyard, un dandy anglais qui collection­ne les bons vins, les havanes et les cabriolets voyants, et Baladine, une entreprene­use française qui aime les escargots de Bourgogne et roter au resto. Ils se marient, s’éloignent aussitôt, et ne se soucient ni l’un ni l’autre de leur fils, venu au monde après leur séparation. Lorsqu’on rencontre Antoine, il a 13 ans, sort d’une pension helvétique et, comme d’habitude, va passer ses vacances chez sa grand-mère. Le chauffeur vient le chercher et le conduit, dans une Rolls bleue – une Silver Shadow 6.8 V8 – jusqu’au chalet de Chamonix où habite la mère de sa mère, Maggie Charles. Cette ex-musicienne baroque devenue ex-chanteuse de rock, du groupe Miss Charles et ses Fauves, eut son heure de gloire et compte encore des admirateur­s, qu’elle compare à des clafoutis. Maggie et son petit-fils s’entendent très bien. Ils ont en commun de se moquer de tout ce qui les importune, de ne pas respecter les convenance­s et de ne rien passer aux parents désunis d’Antoine, qui vont tenter, avec une lourdeur de proboscidi­ens, de renouer avec leur fils unique sans cesser de s’en disputer la garde. Mais Antoine préfère la compagnie des Mousquetai­res de Dumas, des Dalton de Goscinny et d’un chien ratier à la fréquentat­ion de ses géniteurs. Il s’applique d’ailleurs très bien à suivre le conseil de sa grand-mère : « Emmerde-les ! Tes parents sont des enfants gâtés. Des égoïstes. Ils ne pensent qu’à eux. Emmerde-les, et ils penseront à toi. » Stéphane Ho mann (photo) est un grand enfant bougon qui écrit vite des livres insolents pour remplir le vide littéraire laissé par la disparitio­n de Marcel Aymé, Valery Larbaud et Paul Morand. Il n’a pas son pareil pour nous balader (ici, en Angleterre et en Savoie, à Paris, Monaco et autour du lac Majeur), cultiver des néologisme­s (ah, l’exquise « ra nesse »), comparer la peau flétrie de Baladine à du flétan séché, considérer qu’il faudrait toujours se comporter dans la vie comme si on était barman, exécuter « le Petit Prince », ce « livre de lèche-cul », saluer Catherine Deneuve, comparer Karl Lagerfeld à Bernadette Chirac – « Je les confonds toujours, aussi pestes l’une que l’autre, deux punaises » –, hacher menu le petit monde politique et mettre dans le même sac, pour le jeter à la poubelle, la droite, la gauche et le centre… Pour faire aussi sourire les garçons qui ont été mal aimés. Dans cette rentrée neurasthén­ique très chargée en cadavres, pleine de carnages, lourde en règlements de comptes et en leçons de morale, le conte d’Ho mann – salué par le prix Freustié – est, dans une prose aérienne, une bou ée d’oxygène. Inspirez, expirez et respirez-le.

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