LE VRAI FILLON
ARCHI RÉAC ULTRA LIBÉRAL PRO POUTINE
Le cheveu est soigneusement dompté. Lisse. La raie sur le côté, impeccable. Le sourcil est noir, les lèvres minces, le menton légèrement avancé, signe de volonté. Mise classique, charme discret, mine paisible et air sérieux, un demi-sourire éclaire son visage allongé. Non, malgré les apparences, il ne s’agit pas de François Fillon. Mais de John Major. Cet élu conservateur succéda en 1990 à Margaret Thatcher au 10 Downing Street. Après le règne de la Dame de Fer, l’arrivée du nouveau Premier ministre du Royaume-Uni, issu de la même famille politique qu’elle, fut perçue comme un retour à une certaine forme d’apaisement.
C’est, depuis six ans, le rêve secret de François Fillon. « Aujourd’hui, tout le monde a oublié John Major. Mais c’est un épisode à méditer, confiait en 2010 à « l’Obs » un de ses très proches, alors que Fillon était à Matignon, au plus fort de ses tensions avec le président Sarkozy. « C’est ça que veut la droite française. Plus ou moins la même politique que Sarkozy, mais avec quelqu’un de plus calme… et de mieux élevé. » Avec son éclatante victoire au premier tour de la primaire de la droite (plus de 44%), l’ex-Premier ministre touche peut-être au but. John Fillon, à moins que ce ne soit François Major, peut désormais sérieusement
espérer gravir les marches du perron de l’Elysée en mai prochain.
Incroyable retournement. Un exploit, inimaginable il y a encore six mois, lorsque les sondages le donnaient quatrième, derrière Bruno Le Maire. « Magique », dit une de ses proches. En cinq semaines, le si sage Fillon a renversé la table. Tout raflé. Sarkozy sèchement éliminé. Juppé dans les cordes. Cette « majorité silencieuse » que Sarkozy prétendait exprimer, c’est lui qui l’a séduite. Paradoxe absolu pour cet homme rétif aux médias, et plus encore à l’audiovisuel, c’est la télévision qui lui en a donné l’occasion. Il « n’imprimait pas »? En trois débats et une grande émission sur France 2, il s’est soudain imposé comme le nouvel homme fort de la droite.
C’est sans doute le 27 octobre, dans « l’Emission politique » de France 2, qu’il marque un point décisif. Ce soir-là, François Fillon fait un sans-faute. Il assume tranquillement ses positions sur des sujets aussi clivants que l’esclavage, la repentance à l’égard de la colonisation, l’avortement ou le mariage pour tous. Non, il ne reviendra ni sur l’un ni sur l’autre. Ces débats-là sont tranchés, une fois pour toutes. Mais, oui, s’il devient président de la République, il récrira la loi Taubira pour réexaminer (sans rétroactivité) les règles de la filiation : « Un enfant a le droit de connaître son père et sa mère, ses origines biologiques. » Oui, explique-t-il encore calmement, notamment confronté à une jeune mère homosexuelle, il a « le droit d’avoir des convictions personnelles ». A ne pas confondre avec les décisions qu’un responsable politique doit prendre. «Pouvez-vous comprendre
qu’il y a une différence entre la personne privée et ses convictions ou ses croyances et le sens de l’intérêt général que doit avoir tout homme d’Etat ? », plaide-t-il en substance. Ce soir-là, Fillon a réussi son hold-up: la vraie « droite décomplexée », c’est lui. Tant pis pour Sarkozy et Copé, qui se disputent depuis des années la paternité de cette expression. Mais une droite décomplexée tranquille, sans coups de menton ni vociférations. Une véritable métamorphose pour celui qui a longtemps été perçu comme timoré, voire fuyant. Au lendemain de cette émission, à trois semaines du vote, sa cote s’envole dans les sondages.
Incroyable ? Pas pour Fillon. Lui y a toujours cru. Mais il n’imaginait pas que Sarkozy serait aussi sèchement éliminé. Il pensait être au second tour contre lui. « Vous verrez, confiait-il à “l’Obs” il y a dixhuit mois, Juppé ne tiendra pas. Il va s’effriter. C’est moi qui serai contre Sarkozy. » Il n’empêche. C’était loin d’être gagné d’avance. Depuis qu’il a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, voici près de trois ans, l’ancien Premier ministre a bien failli, à plusieurs reprises, perdre définitivement ses troupes, déconcertées par son goût du secret, une certaine forme de dilettantisme, sa propension à fuir les problèmes, sa détestation des médias et sa réticence à communiquer. Ce fils d’un notaire du Mans, élevé chez les jésuites, a toujours eu horreur des sunlights et de la politique people qu’il tient pour le comble de la vulgarité et, plus grave, responsable du discrédit de la politique.
Mais il s’en sort toujours. Est-ce son tempérament d’alpinistequi le conduit à ne jamais rien lâcher ? En tout cas, il tient. Ballotté parfois, mais il tient. Et il dure. Sa carrière au RPR, entamée à la fin des années 1970, est ainsi jalonnée de vrais succès et de rattrapages in extremis. Comme en 1995 où il parvint à entrer dans le gouvernement Juppé, malgré son soutien à Edouard Balladur, ou encore en 2005 lorsqu’il fait affaire pour Matignon avec le futur candidat Sarkozy dont il disait pourtant pis que pendre trois ans auparavant.
On le dit ondoyant, sinueux, faible ? Comme Chirac qui ne se privait pas de le répéter à tout-va…« Indécrottable fauxcul », comme le décrète Sarkozy en 1999qui comptait sur son soutien pour conquérir la présidence du RPR ? Mais Fillon, qui n’avait dit ni oui ni non, s’est en fait présenté lui-même. On le trouve trop lisse? Il n’en a cure. Faux calme et faux mou, l’ombrageux est un opiniâtre. Il avance. Lentement, mais sûrement. Fillon ne fait pas de bruit, mais il va vite. D’abord sous l’aile protectrice de l’ex-ministre du général de Gaulle Joël Le Theule, son premier parrain en politique, auquel il succédera comme député, puis dans l’ombre de Philippe Séguin pendant près de vingt ans. Discret, mais efficace: plus jeune député de France à 27 ans, président du conseil général de la Sarthe à 38 ans, ministre à 39 ans, président de région à 44 ans.
Pendant longtemps, on a perçu François Fillon comme un bon « numéro deux ». La faute à un manque d’audace devenu sa marque de fabrique pendant des années. Habile, très habile, certes. Mais très prudent. Fillon n’a pas son pareil pour échapper aux mauvais coups, pour fuir la lumière lorsque le bateau gouvernemental tangue. D’où les surnoms « Courage Fillon » ou « Mr Nobody » dont on l’a affublé. Planqué, accusent ses contempteurs. Mais ce sens de l’esquive, ajouté à un immense orgueil, à une solide culture politique et à une charpente intellectuelle façonnée en partie par Philippe Séguin, lui a permis de durer. De devenir Premier ministre de Sarkozy, de résister pendant cinq ans aux vexations qu’inflige alors régulièrement le chef de l’Etat à son « collaborateur », et d’être finalement aujourd’hui en situation d’espérer devenir président de la République dans six mois. « En politique, dit un de ses proches, il vaut parfois mieux passer momentanément pour un frileux que d’exploser en vol. »
Fillon a eu chaud. Au printemps dernier, il était relégué, dans les sondages, à la quatrième place dans la course de la primaire, derrière Bruno Le Maire. La
perspective d’une humiliation complète l’a décidé à passer à la surmultipliée. Et à travailler enfin sa communication extérieure. En bon pilote de formule 1 qui fréquente assidûment les circuits de course automobile, il a accéléré dans la dernière ligne droite. Ce réveil médiatique tardif, mais intense, n’aurait sans doute pas servi à grand-chose s’il n’avait effectué depuis trois ans un minutieux travail de terrain.
La « majoritésilencieuse », il est allé la chercher. Notamment avec l’aide de Patrick Stefanini, son très efficace directeur de campagne, qui s’est attelé à un maillage méthodique du territoire et à mobiliser les réseaux catholiques. Avant les vacances d’été, ce dernier a en effet pris contact avec des responsables du mouvement Sens commun, émanation de la Manif pour tous au sein des Républicains, jusque-là présidé par un jeune sarkozyste. A la fin de l’été, à l’occasion d’un mini-putsch interne, le rapport de forces bascule en faveur de Fillon. Ce ralliement, soigneusement préparé, aura sans doute été un apport décisif dans la campagne électorale. « Juppé, qui assume pourtant ses racines chrétiennes, a beaucoup trop négligé la France catholique », juge, sans doute à raison, un député filloniste.
A la fin de l’année 2012, après sa guerre sanglante contre Jean-François Copé pour la présidence de l’UMP, François Fillon s’est cru mort. En quelques mois, lui qui avait quitté Matignon adulé par les parlementaires de droite a déçu tout le monde. A commencer par ses propres troupes, découragées par sa mauvaise campagne de Premier ministre, inadaptée à une élection de militants, son absence de combativité et, surtout, son refus d’aller au bout de l’aventure en constituant un groupe parlementaire autonome, malgré la triche caractérisée qui a marqué cette élection ratée et le « coup de force » de Copé. Un à un, ses principaux soutiens le délaissent ou s’éloignent : Laurent Wauquiez, le premier, François Baroin, qui souhaitait la constitution de ce groupe, Eric Ciotti, Valérie Pécresse… In fine, pourtant, Fillon a le bon réflexe pour la suite. Lors de sa réconciliation de façade avec Copé, début 2013, il réussit, avec Alain Juppé, à imposer le principe d’une primaire de la droite et du centre. Celle-là même qui le consacre aujourd’hui.
Dimanche dernier, il a convaincu plus de 1,7 million d’électeurs, en majorité à droite. Mais, au mois d’avril 2017, il devrait être candidat devant l’ensemble des Français. Dans l’émission « Ambition intime », animée par Karine Le Marchand, il s’est essayé début novembre à un début de mise à nu. Lui qui déteste la confusion des genres n’a pas hésité à sacrifier au rituel du « strip-tease médiatique ». Sans fausse pudeur. Il fallait le voir révéler sa recette culinaire préférée (des pâtes à la saucisse) ou commenter ses « sourcils non épilés ». L’austère de la Sarthe prendrait-il goût à l’exercice ? Jusqu’où est-il prêt à aller pour convaincre 45 millions d’électeurs qui se demandent encore : qui se cache derrière John Fillon ?