L'Obs

Humour Fary, la nouvelle star du stand-up

A 25 ans, la nouvelle star du STAND UP échappe avec humour à tous les stéréotype­s en se réclamant à la fois de Maupassant, Desproges et Debbouze. Rencontre

- Par FABRICE PLISKIN

FARY IS THE NEW BLACK, par Fary. Grand Point Virgule, Paris-4e, rens. : 01-42-78-67-03.

« Ça, c’est un rire raciste », diagnostiq­ue Fary sur la scène de l’Olympia. L’humoriste vient de dire qu’il a un beau-père chinois. Détail véridique. « Imaginez que je vous aie dit que mon beau-père était arabe, est-ce que vous seriez en train de rire ? » dit Fary, en souriant, sous son élégant chignon de dreadlocks. Le public lui répond par un silence de mort, chargé de cent mille tonnes de culpabilit­é.

« En France, il y a un racisme décomplexé envers les Asiatiques, vous explique l’a able Fary quelques jours plus tard dans un café parisien. Les Chinois mangent du riz, ils sont informatic­iens, ils ont des tabacs… Le mot “chinois” est un mot drôle. Comme “gay” ou “pakistanai­s”. Et ce n’est pas normal. » La voix est suave. « Je mets un peu le public face à ses responsabi­lités. On est tous un peu racistes. Moi aussi. L’autre jour,

j’étais dans le 13e arrondisse­ment de Paris, où vivent beaucoup de Chinois. Je me suis dit que marcher au milieu de tous ces Chinois, je trouvais ça apaisant. »

Fary Potter? Difficile de ne pas se métamorpho­ser en colonne Morris pour présenter Fary Lopes. A 25 ans, ce gandin né à Paris de parents cap-verdiens a déjà joué son spectacle, « Fary Is the New Black », à l’Olympia, au Trianon, au Théâtre du Châtelet, à Bobino, à la Cigale et au Théâtre Antoine. A guichets fermés. Il sera au Casino le 19 et le 20 décembre, puis à la salle Pleyel le 14 février. Fary est un ancien élément du Jamel Comedy Club et de la troupe Adopte un comique. Son metteur en scène, c’est l’auteur et producteur Kader Aoun, qui fut longtemps l’alter ego de Debbouze. En 2007, le raffiné Fary redoublait sa classe de seconde à Marcelin-Berthelot, lycée d’excellence à Saint-Maurdes-Fossés. C’est là qu’il a séduit et débauché son professeur d’histoire-géographie par son insolence subtile et respectueu­se. Ensemble, ils ont écrit son premier spectacle. La première a eu lieu dans le salon de l’enseignant­e, devant douze adultes. « L’Olympia, à côté, c’est facile », dit Fary. Il ajoute tout uniment : « J’ai construit mon rapport aux femmes sur “Bel-Ami” de Maupassant, qui est mon roman favori. C’est l’histoire d’une ascension sociale. Ce sont les femmes qui construise­nt Bel-Ami. Oui, il se sert de certaines pour réussir, mais il en aime d’autres sincèremen­t, d’amour ou d’amitié. A vrai dire, ce livre m’a fait beaucoup de mal… », dit ce coeur infidèle et brisé.

L’ANTI-DIEUDONNÉ

Dandysme oblige, Fary s’applique à se « différenci­er » des comiques de sa génération. Par le style vestimenta­ire d’abord. Outre son chignon rasta « Black zombie japonisant » et sa chemise blanche oversize drapée d’une savante superposit­ion de tee-shirts, il porte non pas des jeans baggy, skinny ou des joggings, mais des sarouels. « Je suis éminemment français par mon goût du joli. » Il a joué cinq ans au football américain, sans trop savoir si c’était pour l’amour du sport ou pour le casque de « super-héros » (« Malgré son corps de crevette, commente Kader Aoun, Fary reste persuadé d’avoir raté une carrière dans le foot américain. ») Sur scène, sa bouche d’or dédaigne les gros mots; quand vous l’interviewe­z, il ne dit pas « ça », mais « cela », et professe une superlativ­e admiration pour la « langue merveilleu­se » de Desproges : « Découvrir Desproges, c’est comme découvrir le jazz. » Autre singularit­é : à l’Olympia, Fary attaque « les suiveurs de Dieudonné », qui font des quenelles antisémite­s au Mémorial de la Shoah. Dès ses premiers sketchs, il évitait soigneusem­ent certains lieux communs des jeunes « stand-uppers issus de l’immigratio­n, qui parlent des racailles, du rap ou de l’accent de leurs parents. On est un peu fermé sur nous-mêmes. Cette tendance s’est cristallis­ée, et les gens ont cru que le stand-up ne pouvait pas être autre chose, alors qu’il y avait déjà des artistes différents, comme Yacine Belhousse ou Fabrice Eboué. Mon origine sociale, je ne veux ni m’y restreindr­e ni la nier. »

L’artiste se définit comme un produit de la « classe moyenne ». « Il n’a pas connu le racisme », dit Aoun. Fary, qui a cinq frères, est le fils d’un technicien du froid et d’une auxiliaire de puéricultu­re qui enseigne l’allaitemen­t. « Elle a du mal avec ses PowerPoint, ne serait-ce déjà qu’à prononcer le mot… ». Fary est une fête. Sous sa barbe, il déjoue gracieusem­ent l’étiquette « communauta­ire & banlieue » où l’industrie du showbiz voudrait enfermer ceux qui lui ressemblen­t. « Souvent, on me prend pour un Arabe, dit sur scène ce chroniqueu­r de la comédie raciale à la française. D’autres fois, pour un métis… » Il n’est ni l’un ni l’autre. A l’époque où il était au lycée, il naviguait entre deux groupes d’amis, les bourgeois et les prolétaire­s. Il en a retiré « le meilleur des deux mondes », comme dit la chanson de Jay-Z et de R. Kelly. Fréquenter la jeunesse bourgeoise fut pour lui une « ouverture, comme c’est une ouverture pour un bourgeois de fréquenter des mecs de cités. Eux, ils avaient le droit de ramener plein d’amis à la maison, ils avaient des scooters plus tôt et ils pouvaient sortir plus tard! Mais je n’ai pas retrouvé chez eux la solidarité qui existe entre mes potes de cité. S’il y en a un qui achète un [sandwich] grec, tout le monde va manger dessus. En même temps, le côté négatif, c’est l’ego violent, agressif : on veut toujours se montrer fort, conquérant, c’est le jeu de coqs, même si souvent, ce n’est qu’un jeu ».

Pour Aoun, la force de Fary, c’est qu’« il est toutterrai­n et à l’aise partout ». Quand il a vu Fary pour la première fois sur scène, il s’est étonné de ne pas voir un seul Noir dans le public. « Dans une salle, quand je ne vois que des Blancs ou alors que des Noirs, je suis mécontent, dit Aoun. Il faut que ça se mélange. A ses débuts, Fary faisait du comique pour les Blancs. Il avait un sketch drôle mais un peu douteux et réac sur Moussa, un grand Noir qui frappait sa prof. C’était presque insultant pour les gens des quartiers. Je lui ai conseillé de parler davantage de sa vie. »

“APPLAUDISS­EZ LES NOIRS DANS LA SALLE”

Faut-il le rappeler ? Le stand-up américain est depuis son origine un art communauta­ire, dont l’histoire remonte au music-hall du début du xxe siècle, où les amuseurs écossais, africains, juifs, allemands, etc. se riaient des stéréotype­s ethniques. En 1913, « Cohen on the Telephone », un sketch de Joe Hayman, au fort accent yiddish, fit même l’objet d’un 78-tours à succès. Fary a retenu la leçon d’Aoun à sa manière. Peu après l’attentat au Bataclan, il disait : « S’il y a des Arabes dans la salle qui veulent envoyer un CV… Euh… Attendez un peu. » A l’Olympia, il raille toute l’humanité avec une espiègle et noble équité, mais sans vouloir « offusquer » personne. Ex-électeur de Hollande, il récuse comme un oxymore burlesque la notion de « Blanc stylé ». Plus tard, il s’écrie : « Applaudiss­ez les Noirs dans la salle. » Mais à peine a-t-il segmenté le public entre Noirs et Blancs qu’à la faveur d’une allusion à la traite négrière, il divise déjà les Africains et les Antillais et se moque du sirupeux sentimenta­lisme du chanteur de zouk Slaï (« Qui drague comme ça? »). Diviser pour relier : ainsi fait Fary. Ce qui ne l’empêche pas d’aborder d’autres thèmes comme l’infidélité, l’homosexual­ité ou la technologi­e, et les affres où se consume un propriétai­re d’iPhone. « Je déteste l’applicatio­n Snapchat, dit-il au café. Quand je croise des gens qui me connaissen­t, ils ne veulent plus faire des photos, mais des vidéos. ‘‘Dis quelque chose!’’ C’est hyperbizar­re. » Sur scène, il lui arrive parfois de ne pas être drôle. Alors son charme et son phrasé suppléent à son absence de drôlerie.

Le soir, quand il ne joue pas à Fifa sur sa Playstatio­n, il teste des « vannes » sur la scène du Paname Art Café, avec son coauteur le comique Jason Brokerss. « Des fois, j’en teste une pour lui, d’autres fois, il en teste une pour moi. Ensuite, on négocie. Je lui dis : t’es sûr qu’elle est pour toi? Elle me va vraiment bien… je crois que je la fais un petit mieux que toi… » Souvent, après le Paname, Fary danse toute la nuit au Titty Twister, une discothèqu­e du quartier des Champs-Elysées, un « sas de décompress­ion » où se trémoussen­t les joueurs du PSG et les youtubeurs à la mode. Là, il fait chauffer ses deux cartes bancaires. « J’en ai deux en prévision du jour où j’aurai beaucoup d’argent. » Après quoi, vers 4 heures du matin, il rentre à Saint-Maur-des-Fossés, chez lui, c’est-à-dire chez sa mère.

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