L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au

- par MATTHIEU CROISSANDE­AU

Une divine surprise, un sérieux avertissem­ent et un fragile espoir… Le résultat du premier tour de la primaire de la droite et du centre offre à la gauche des impression­s mêlées. S’il faut saluer l’ampleur de la mobilisati­on citoyenne qui témoigne d’un attachemen­t profond à notre système démocratiq­ue, il faut aussi tirer les leçons de ce scrutin qui bouscule l’échiquier politique pour longtemps.

La divine surprise, c’est évidemment l’éliminatio­n de Nicolas Sarkozy. Et ce n’est pas parce qu’il s’est trouvé quelques yeux humides et autres coeurs indulgents pour s’émouvoir de son discours d’adieu – plutôt digne, il est vrai – qu’il faut oublier l’avalanche de mensonges, de haine et de démagogie que ce personnage aura déversés sur la vie politique française. Sarkozy quitte la scène par la petite porte. Formons ici le voeu qu’il la referme à double tour et emmène ses sbires avec lui.

Le sérieux avertissem­ent, c’est bien sûr le score canon de François Fillon et ce qu’il charrie. Car pour classique qu’elle soit, cette droite-là n’en est pas moins dangereuse sur tous les plans, à commencer par celui des valeurs. On l’a beaucoup dit, beaucoup écrit, mais il faudra le répéter autant que de besoin tout au long de la campagne : ancré dans un catholicis­me rétrograde, l’inquiétant M. Fillon incarne une France revanchard­e et repliée sur elle-même. Celle des anti-avortement, anti-homosexuel­s, anti-immigratio­n, anti-syndicats... Celle du « tout fout le camp, ma bonne dame »… Celle des lecteurs d’Eric Zemmour, de Renaud Camus et de « Valeurs actuelles ».

Du point de vue du programme ensuite, la potion libérale du Dr Fillon ne laisse présager qu’une punition. Sur le papier, la grande majorité des Français

n’a en effet rien à gagner mais tout à perdre. Moins de pouvoir d’achat, moins de loisirs, moins de retraite, moins de protection sociale, moins d’allocation­s chômage, moins de fonctionna­ires… Fillon est un « Monsieur Moins » qui promet à ses électeurs d’expier leurs péchés en échange d’un paradis très incertain : le chômage à 7%. L’avenir dira si les Français sont aussi masochiste­s que les électeurs de la primaire. Mais ce positionne­ment sacrificie­l ouvre en tout cas un chemin pour la gauche, tant il néglige la demande de protection qui transpire depuis plusieurs années dans toutes les enquêtes d’opinion et tous les scrutins.

Là réside sans doute le fragile espoir. Face à une droite aussi dure et aussi classique, il ne devrait pas être trop difficile d’incarner le progrès. A condition de s’en donner les moyens et de ne pas tomber dans la facilité ni la paresse. Car, si la victoire annoncée de François Fillon a le mérite de réaffirmer nettement un clivage, la gauche aurait tort de se contenter d’y opposer ses vieux réflexes. Emmanuel Macron semble l’avoir compris en s’autorisant à bousculer les codes au nom d’une égalité réelle qu’il érige en premier commandeme­nt. Le Parti socialiste, lui, hésite encore, faute de candidat désigné. Il appartiend­ra à ses sympathisa­nts de choisir entre la rupture ou la continuité et de convaincre les Français que ce n’était pas mieux avant mais que ça ira mieux demain. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas gagné.A nos lecteurs Indisposé cette semaine, Jean Daniel s’exprimera évidemment la semaine prochaine.

UN “MONSIEUR MOINS” QUI PROMET À SES ÉLECTEURS D’EXPIER LEURS PÉCHÉS EN ÉCHANGE D’UN PARADIS TRÈS INCERTAIN.

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