L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- J. G. Par JÉRÔME GARCIN

Si tu ne m’aimes plus, je me jetterai par la fenêtre de la caravane. » Le long titre du nouveau spectacle du cirque tzigane Romanès sonne comme un avertissem­ent. Depuis qu’elle est installée square Parodi, dans le 16e arrondisse­ment de Paris, la petite troupe d’Alexandre Romanès n’en finit pas, en effet, d’être victime d’actes racistes. Son matériel est régulièrem­ent dégradé au prétexte que ces Gitans, eux, dégraderai­ent l’image huppée du quartier. Lorsque des inconnus ne brisent pas leurs fenêtres, ne percent pas leurs canalisati­ons d’eau ou n’arrachent pas leurs câbles électrique­s, les riverains les accusent de manger les chats de gouttière et les traitent comme des parias. Si, le 9 novembre dernier, la ministre de la Culture, Audrey Azoulay, a eu la bonne idée de remettre les insignes de la Légion d’honneur à cet artiste circassien convaincu qu’« être gitan, c’est aller en prison plus vite qu’un autre », cela n’apaise pas, malheureus­ement, ses inquiétude­s. Son petit chapiteau est menacé et il a dû lancer, sur le site HelloAsso, un appel aux dons afin de surmonter une situation vraiment critique. A ceux qui, aveuglés par les préjugés et défigurés par la xénophobie, persistent à ne pas vouloir connaître ce petit-fils de montreurs d’ours, on ne saurait trop préconiser la lecture de son recueil de souvenirs, « Les corbeaux sont les Gitans du ciel » (L’Archipel, 19 euros). L’enfant rebelle des Bouglione, qui commença par dompter les lions dans le cirque suisse de Fredy Knie, raconte comment, très tôt, il a pris la tangente et fui l’industrie du spectacle. Il doit à l’acrobatie sur échelle d’avoir connu l’équilibre, à l’apprentiss­age du luth d’avoir calmé ses colères et à la fréquentat­ion des poètes d’en être devenu un (relire, de lui, « Sur l’épaule de l’ange » et « Paroles perdues »). Le récit qu’il fait ici de ses rencontres fondatrice­s est merveilleu­x. Lydie Dattas, sa première femme, lui enseigna la lecture et l’écriture. Jean Genet, qui appelait Duras « le vieux singe » et jugeait que Sartre disait « des conneries », l’initia à la liberté. Jean Grosjean, le chrétien austère et généreux de la NRF, fut son guide spirituel. Et Christian Bobin lui souffla un soir, à Avignon : « J’avais un ami et je ne le savais pas. » On offre cette phrase aux riverains de la porte Maillot qui ignorent ce qu’ils perdent à contourner, en grimaçant, le petit cirque tzigane d’Alexandre Romanès, dont la devise a pourtant valeur de morale : « Si tu es au fond du trou, arrête de creuser. »

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