L'Obs

LE CANDIDAT DE LA MANIF POUR TOUS

Durant la campagne de la primaire, François Fillon a bénéficié à plein du soutien des réseaux catholique­s traditionn­els. La France conservatr­ice s’est trouvé un champion inespéré

- Par NATHALIE FUNÈS et AUDREY SALOR

La scène se déroule lors de l’université d’été des Républicai­ns, à La Baule, début septembre, deux jours après le ralliement à François Fillon de Sens commun, l’émanation de la Manif pour tous au sein du parti. Un proche de l’ancien Premier ministre, alors à la traîne dans les sondages, croise Madeleine Bazin de Jessey, porte-parole du mouvement, et lui fait part de sa satisfacti­on : « C’est un ralliement très apprécié… et appréciabl­e pour nous. » Appréciabl­e? Le mot est faible.

François Fillon est populaire depuis longtemps auprès d’un électorat de droite traditionn­el et conservate­ur. Ces derniers mois, il a su s’attirer encore davantage la bienveilla­nce des réseaux cathos. Son programme répond à nombre de leurs revendicat­ions : réécriture de la loi Taubira afin de supprimer la possibilit­é d’adoption plénière pour les homosexuel­s et de réserver l’accès à la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) aux couples hétérosexu­els infertiles. Sans oublier les mesures plus classiques de la politique familiale : rétablisse­ment de l’universali­té des allocation­s familiales et hausse du plafond du quotient familial à 3 000 euros par demi-part.

Conséquenc­e : lors de sa campagne, il a pu profiter de l’engagement de militants ultraorgan­isés depuis les vagues de contestati­on contre le Mariage pour tous en 2013. Fillon dopé par la cathosphèr­e ? « Sens commun a créé une dynamique autour de lui. Ils ont rameuté des bénévoles, collé des affiches. Cela lui a permis de mobiliser dans les régions sans que cela soit perçu par les sondages », glisse un cadre de la Manif pour tous, pourtant peu suspect de fillonisme. Le même raconte que, la veille du grand meeting organisé par l’ancien Premier ministre au Palais des Congrès de Paris, vendredi dernier, « son équipe a appelé en catastroph­e des responsabl­es de Sens commun pour venir donner un coup de main ». Avec 8 000 adhérents, 250 élus et 130 responsabl­es locaux revendiqué­s, le mouvement peut se targuer d’une force de frappe certaine. Il a ainsi aidé à l’organisati­on de 200 réunions publiques partout en France pour défendre la cause de son champion.

Ces derniers mois, le grand vainqueur du premier tour de la primaire a aussi soigné ses relations avec la Manif pour tous, qui lui a régulièrem­ent transmis des documents sur le thème de la famille. Officielle­ment les responsabl­es de ce mouvement, le plus important parmi les opposants à la loi Taubira, soucieux de ménager une base allant de l’UDI et au FN, n’appelleron­t pas à voter en sa faveur. Mais en coulisses l’un de ses dirigeants ne le cache pas : « 100% de ceux qui ont mani-

“POUR MOI, LA FAMILLE, C’EST UNE VALEUR, PAS UNE VARIABLE BUDGÉTAIRE ET ENCORE MOINS UN SUJET D’EXPÉRIMENT­ATIONS SOCIÉTALES HASARDEUSE­S.” (PALAIS DES CONGRÈS, 18 NOVEMBRE 2016)

“JE VEUX QU’ON ÉCRIVE DANS LA LOI QU’UN ENFANT EST TOUJOURS LE FRUIT D’UN PÈRE ET D’UNE MÈRE.” (RMC, 18 NOVEMBRE 2016). “LES VRAIS HÉROS FRANÇAIS SONT LES PAYSANS QUI ONT FAIT NOTRE HISTOIRE, LES SCIENTIFIQ­UES ET LES INVENTEURS QUI ONT FAIT NOTRE RENOMMÉE, L’ÉGLISE CATHOLIQUE, LES PHILOSOPHE­S, LES SOLDATS DE L’AN II, LES POILUS.” (EXTRAIT DE « FAIRE », 2015)

festé avec nous vont se rabattre sur Fillon. Pour eux, Juppé, favorable à l’adoption par les couples homosexuel­s, est une imposture. » Et Sarkozy a définitive­ment déçu en reniant son serment. Dans son livre « la France pour la vie », paru en janvier, l’ancien président de la République avait expliqué noir sur blanc qu’il ne reviendrai­t pas sur le mariage gay. Fermez le ban.

Le bling-bling et la désinvoltu­re d’un Sarkozy capable de tapoter des SMS sur son mobile lors de sa première visite au pape Benoît XVI, en 2007, hérissaien­t les catholique­s. Aucun risque de ce genre avec Fillon. Les photos, prises devant son manoir, pour « Paris Match », en août dernier le disent assez : l’ancien député de la Sarthe incarne la droite bourgeoise de la France de l’Ouest, terrienne, conservatr­ice et discrète. Il a toujours mis régulièrem­ent en avant ses croyances. « Je suis catholique. J’ai été élevé dans cette tradition et j’ai gardé cette foi », a-t-il encore écrit dans son ouvrage « Faire », paru l’an passé.

Il se rend une ou deux fois par an à l’abbaye bénédictin­e de Solesmes, son village. C’est dans ce haut lieu de la liturgie et du chant grégorien, vieux de plus de mille ans, qui a protégé l’ancien milicien Paul Touvier, seul Français condamné pour crime contre l’humanité, que l’ancien Premier ministre a fêté l’Assomption cet été. A l’époque, il s’était félicité dans un tweet d’y avoir retrouvé « nos racines chrétienne­s et l’esprit de Béatitude ». Il n’a pas hésité non plus à prendre la plume, en octobre, pour réagir à la parution de l’opus que venaient de publier les évêques de France, intitulé « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique ». Il leur avait alors fait part de son attachemen­t aux « valeurs héritées du christiani­sme ». La missive a été très appréciée dans l’épiscopat.

« La stratégie de François Fillon a payé, analyse Jérôme Fourquet, de l’Ifop. Dans un sondage réalisé pour le magazine “Pèlerin” mi-novembre, il faisait déjà un score plus élevé auprès des catholique­s que ceux des électeurs qui se disent “sans religion”. Il a toujours été constant dans la défense des sujets auxquels cette population, particuliè­rement civique et qui vote plus que la moyenne, est sensible : la famille, les chrétiens d’Orient… »

Mais aussi l’avortement. En juin, lors d’un meeting à Aubergenvi­lle, dans les Yvelines, il lâche devant les sympathisa­nts des Républicai­ns venus l’applaudir : « Je le reconnais devant vous. J’ai écrit [dans “Faire”, ndlr] que l’avortement était un droit fondamenta­l. Ce n’était pas ce que je voulais écrire. Je voulais dire que l’avortement, personne ne reviendrai­t dessus. Mais philosophi­quement et compte tenu de ma foi (catholique), je ne peux l’approuver. » Depuis, certaines féministes se déchaînent. « Au secours », a aussitôt twitté l’ex-socialiste Caroline De Haas. « Il incarne la France du passé, celle pour qui les hommes et les femmes ne sont pas égaux, celle pour qui les homosexuel­s ne doivent pas avoir les mêmes droits », s’insurge cette militante, connue également pour son engagement contre la loi sur le travail de Myriam El Khomri.

Va-t-on assister au « combat de deux droites, l’une rétrograde et l’autre ouverte », comme le prédit un membre de l’équipe de campagne d’Alain Juppé? « On a sous-estimé le poids de la France catholique et traditionn­elle, analyse Philippe Portier, chercheur au CNRS. Les catholique­s ont perdu un tiers de leurs troupes en quarante ans, mais ceux qui restent sont des croyants dynamiques, enracinés, identitair­es, et réticents vis-à-vis des évolutions morales actuelles, comme l’ont montré les énormes manifestat­ions contre le Mariage pour tous. C’est une masse mobilisée et mobilisabl­e. François Fillon l’a très bien compris. »

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 ??  ?? Campagne de la primaire à Paris. François Fillon avec Madeleine Bazin de Jessey, porte-parole de Sens commun, mouvement issu de la Manif pour tous.
Campagne de la primaire à Paris. François Fillon avec Madeleine Bazin de Jessey, porte-parole de Sens commun, mouvement issu de la Manif pour tous.

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