ABLUKA PAR EMIN ALPER
Drame turc, avec Mehmet Ozgür, Berkay Ates, Tülin Ozen (1h59).
Rarement un film d’anticipation, fût-elle imperceptible, n’aura été plus actuel. Car ici, la Turquie de demain ressemble, à s’y méprendre, à celle, fliquée, répressive, délatrice, paranoïaque de Recep Erdogan. A Istanbul, dans un futur proche, Kadir (Mehmet Ozgür), condamné à vingt ans de prison, bénéficie d’une libération anticipée à la seule condition de jouer les indics, de surveiller ses voisins, de fouiller leurs poubelles où des bombes pourraient être cachées, et d’aider la police à traquer les terroristes. Il accepte le marché et retrouve son jeune frère, Ahmet (Berkay Ates, photo), un célibataire introverti qui est chargé par la mairie d’abattre les chiens errants sur les terrains vagues. Dans un décor désespérant, sous un ciel gris et bas, la violence et la tension montent, la suspicion gagne les esprits, les militaires patrouillent la nuit, les tirs répondent aux explosions, les arrestations se multiplient et les chiens hurlent à la mort. Dans le deuxième film, étouffant et inquiétant, d’Emin Alper, cinéaste turc de 42 ans (« Derrière la colline », primé à la Berlinale de 2012), on finit par ne plus savoir où s’arrête le cauchemar et où commence la réalité. On est vraiment, au sens propre, entre chiens et loups. C’est Kafka dans les faubourgs d’Istanbul, Artur London au pays de la lune décroissante. Une fable satirique qui montre la folie d’une nation condamnée à l’absurde et saisie par la peur. Un film à petits moyens, mais à gros effets, qui a mérité son prix spécial du jury à la Mostra de Venise. JÉRÔME GARCIN