L'Obs

Islam : François Fillon sème la confusion

- Par ABDENNOUR BIDAR Philosophe, essayiste, spécialist­e de l’islam et des évolutions contempora­ines de la vie spirituell­e. A. B.

J’ai lu attentivem­ent le livre de François Fillon « Vaincre le totalitari­sme islamique ». Une question m’a très vite accompagné. Pourquoi « islamique » dans le titre puis « islamiste » dans le livre lui-même ? Page 48, plus précisémen­t : « Si je parle de totalitari­sme islamiste, c’est en connaissan­ce de cause et non pour faire rouler ces mots dans ma bouche. » Le diable est dans les détails, surtout quand on parle de religion… L’islamisme, comme l’explique très bien François Fillon plus loin, c’est « la montée d’un islam rigoriste, peu importe qu’on l’appelle islamisme, salafisme ou fondamenta­lisme, et qui est à l’oeuvre partout dans le monde, à commencer par le monde musulman ». En effet, mais alors ma fausse naïveté s’étonne : comment se fait-il que cette pathologie « islamiste » de l’islam soit appelée « islamique » dans le titre, comme si le mal était dans l’essence même de l’islam ? Le mot « islamique » désigne simplement en effet ce qui relève de la civilisati­on de l’islam : philosophi­e islamique, art islamique, religion islamique, etc., tandis qu’« islamiste » désigne proprement ce qui dans cette civilisati­on relève d’un radicalism­e religieux. Le « totalitari­sme islamiste » ne peut donc pas être qualifié en même temps d’« islamique », ou bien c’est la civilisati­on même de l’islam qui est associée à ce totalitari­sme… Le titre du livre induit très fâcheuseme­nt cette confusion. Il fait croire que l’islam est l’ennemi, alors que c’est l’ennemi de l’islam qui est notre ennemi à nous aussi : ce mal du radicalism­e qui dénature, détruit, pervertit aujourd’hui un peu partout la civilisati­on et la spirituali­té de l’islam. A la décharge de François Fillon, il faut en effet dire et répéter que la civilisati­on de l’islam se caricature si constammen­t aujourd’hui qu’elle est menacée d’être recouverte tout entière par l’islamisme. Le totalitari­sme exercé par le radicalism­e religieux sur cette civilisati­on écrase presque partout la diversité de ses cultures sous le joug d’une religiosit­é uniforme, et, si rien n’est fait pour l’empêcher, rien d’autre demain ne subsistera que cette hégémonie. Lorsque les choses auront dégénéré à ce point, ce sera alors en vain qu’on voudra encore objecter que l’islam est autre chose que l’islamisme… Car on réclamera les droits d’un mort. L’islamisme est un islamicide. La civilisati­on de l’islam qui paraît si conquérant­e est en danger de mort – sa reconquête ou conquête d’espaces dans les sociétés et les conscience­s est en fait une sorte de métastase ou de proliférat­ion cancéreuse qui la tue. Et pour dénoncer cela, je ne peux que reprendre les efforts de mes devanciers Mohammed Arkoun, Abdelwahab Meddeb et Malek Chebel (paix à leurs âmes), qui ont essayé de mettre les musulmans en garde contre l’idéologie mortelle qui contamine aujourd’hui hélas tant de conscience­s : « Attention, ce que vous appelez “islam” quand vous parlez de soumission à Dieu, de soumission à la loi religieuse, de soumission à des règles morales ancestrale­s, de soumission des femmes à des rôles et vêtements stéréotypé­s, d’une soumission à venir de tous les peuples de la terre à l’islam, tout cela vous trompe, c’est un islamisme qui veut se faire passer pour la spirituali­té authentiqu­e de l’islam. » Celui-ci ne signifie pas soumission, contrairem­ent à ce qui trop souvent a été enseigné depuis le berceau, mais « paix » et « consécrati­on de soi au Bien ». Et là, je suis d’accord avec vous, monsieur Fillon, « contre Daech, nous livrons un combat pour des valeurs qui rassemblen­t tous les êtres de bien, croyants ou non, monothéist­es ou pas, chrétiens, juifs ou musulmans ».

“CONTRE DAECH, NOUS LIVRONS UN COMBAT POUR DES VALEURS.”

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