L'Obs

FMI Christine Lagarde veut s’attaquer aux inégalités

- (1) Organisati­on de Coopératio­n et de Développem­ent économique­s, Organisati­on internatio­nale du Travail, Organisati­on mondiale du Commerce. (2) « Neoliberal­ism: Oversold ? », par Jonathan Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri, dans « Finance & Develop

La directrice générale du Fonds monétaire internatio­nal, Christine Lagarde, entend favoriser une croissance plus “inclusive”, mais elle défend la poursuite de la globalisat­ion

L’élection de Donald Trump, le Brexit, la poussée des mouvements populistes ou nationalis­tes en Europe et ailleurs…, n’est-ce pas le signe que le modèle économique dominant, dont le FMI est un des symboles, ne fonctionne pas? Donald Trump a misé avec succès sur les frustratio­ns générées par la diminution de la classe moyenne, l’augmentati­on des inégalités, la baisse de la rémunérati­on du travail. Il y a répondu par la promesse de créer de nouveau des emplois dans des zones affectées par le commerce internatio­nal ou la robotisati­on.

Son élection et le Brexit ont en commun une volonté de repli à l’intérieur des frontières, soit par le rapatrieme­nt d’unités de production [cas des Etats-Unis, NDLR], soit par un meilleur contrôle de l’immigratio­n en provenance d’Europe centrale [cas de la GrandeBret­agne, NDLR]. Cela condamne-t-il un système économique largement fondé sur le commerce internatio­nal? Je ne le pense pas. En revanche, cela nécessite impérative­ment d’en repenser les conséquenc­es, sur l’ensemble des pays du monde. Au FMI, nous insistons depuis longtemps sur la nécessité d’une croissance inclusive. Nous avons établi depuis au moins quatre ans le fait que plus les inégalités de revenus et d’opportunit­és sont fortes, moins la croissance est équilibrée et durable. Cela nécessite des mesures, qui n’ont pas été mises en oeuvre. Nous avions espéré que le commerce mondial, qui a sorti des centaines de millions de gens de la pauvreté et a accru le pouvoir d’achat dans les pays avancés, permettrai­t aussi de répondre aux difficulté­s de ceux qui perdent leur emploi, or cela n’a pas été le cas. C’est ce qu’il faut désormais prendre en considérat­ion. Que peut faire le FMI pour réduire les inégalités? On dispose de trois leviers : l’analyse économique, la surveillan­ce qui nous permet de donner des conseils, les programmes de financemen­t pour les pays en grande difficulté, assortis de recommanda­tions. Nous devons nous atteler à la lutte contre les inégalités, en coordinati­on avec l’OCDE, l’OIT ou l’OMC (1). Pendant longtemps, l’analyse du FMI portait essentiell­ement sur la politique monétaire et la politique budgétaire. Désormais, nous examinons des dimensions inhabituel­les : la contributi­on des femmes à l’activité, les investisse­ments dans la santé ou dans l’éducation, en particulie­r celle des tout jeunes enfants… En Egypte, le programme qu’on vient d’approuver prévoit de faciliter les gardes d’enfants et le transport des femmes sur leur lieu de travail. Pour une croissance plus « inclusive », il y a aussi la redistribu­tion… Bien sûr ! Dans le cas des Etats-Unis, par exemple, nous avons recommandé l’augmentati­on du salaire minimum, qui est une forme de redistribu­tion par le système privé, et la distributi­on par l’Etat d’un complément de revenu aux foyers les plus modestes. Dans un article récent (2), intitulé « Le néolibéral­isme survendu? », trois économiste­s du FMI se sont livrés à une critique des politiques de libéralisa­tion ou d’austérité parfois recommandé­es. Partagez-vous cette autocritiq­ue? « Néolibéral­isme » est un mot chargé de connotatio­ns. L’article dont vous parlez ne se livre pas à la « révision déchirante » qu’on lui a prêtée. Il s’inscrit dans la réflexion que nous menons sur le lien entre inégalités et croissance. Le FMI n’a pas pour autant abandonné sa conviction que les échanges internatio­naux sont nécessaire­s ou que l’activité commercial­e est plus efficace dans le cadre du marché. Pas d’autocritiq­ue, donc? Mais on passe notre temps à faire de l’autocritiq­ue! Nous avons même, à l’intérieur de la maison, un départemen­t qui s’y consacre, sur lequel je n’ai aucune autorité, l’IEO (Independen­t Evaluation Office). Ils se sont saisis des erreurs de prévision du FMI, de la qualité de la surveillan­ce économique et de bien d’autres sujets. Nous parlons d’une autocritiq­ue plus générale. Est-ce que le « consensus de Washington » – libéralisa­tion du commerce et des mouvements de capitaux, privatisat­ions, rigueur budgétaire –, que portait le FMI, était erroné? Quand je vous dis qu’il existe tout un pan des conséquenc­es du commerce internatio­nal qu’on n’a pas exploré, c’est une autocritiq­ue! Quand Olivier Blanchard [ancien économiste en chef du FMI, NDLR] a, en 2012, constaté qu’on avait sous-estimé l’impact

“PLUS LES INÉGALITÉS DE REVENUS ET D’OPPORTUNIT­ÉS SONT FORTES, MOINS LA CROISSANCE EST ÉQUILIBRÉE ET DURABLE.”

négatif des mesures d’austérité que l’on recommanda­it dans des contextes de faible croissance, c’était de l’autocritiq­ue! Etant donné le discours ambiant, ce contrecoup de la révolution libérale portée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher… Bill Clinton était complèteme­nt partie prenante aussi, ne l’oubliez pas… … ne pensez-vous pas qu’on est arrivé à la fin d’un cycle? D’abord, le « discours ambiant » sur la globalisat­ion, certes important, ne concerne que les pays avancés. En Chine, en Inde, en Amérique latine, la globalisat­ion ne fait pas débat : elle est considérée comme un facteur positif qui a permis de sortir de la pauvreté et de faire émerger des classes moyennes.

Ce qui me frappe, c’est de constater que ces pays en développem­ent et émergents représente­nt désormais 60% de l’économie mondiale et 80% de la croissance. Je ne sais pas si c’est un changement de cycle, mais c’est un renverseme­nt des rôles. Cela entraîne forcément des révisions importante­s sur la production, l’investisse­ment, la recherche. Le basculemen­t est également démographi­que : certains pays voient leur population diminuer, comme le Japon, l’Allemagne, l’Italie, et maintenant la Chine, qui est en train de s’en émouvoir. On parle aujourd’hui de « démondiali­sation », à la fois pour constater le ralentisse­ment de la croissance du commerce mondial et la montée de politiques protection­nistes, comme celle que prône Donald Trump. Cette évolution vous inquiète-t-elle? La croissance du commerce internatio­nal était de plus de 7% jusqu’en 2008, elle est maintenant évaluée autour de 2%, soit en dessous du taux de croissance. La baisse de la demande liée à la crise explique l’essentiel de ce phénomène, à hauteur de 80%. Mais le tarissemen­t des efforts pour ouvrir les économies et de nouvelles mesures protection­nistes ont aussi joué un rôle. Nous devons relancer la machine, car imaginer qu’on puisse développer des économies qui en ont besoin sans l’aide du commerce internatio­nal est illusoire. Que fait le FMI en Grèce et plus généraleme­nt dans la zone euro? Si c’est leur souhait, les dirigeants des pays de la zone euro peuvent s’organiser sans l’aide du FMI. Mais je suis saisie d’une demande du gouverneme­nt d’Alexis Tsipras. Et vous n’êtes pas sans savoir que l’Allemagne et quelques autres sont soucieux de voir le FMI à bord. La Grèce va-t-elle vivre une punition continuell­e? Nous avons jugé convenable­s les mesures promises par les Grecs pour dégager un excédent budgétaire primaire de 1,5% du PIB, qui nous semble un effort suffisant. Les amis européens, eux, demandent un excédent de 3,5%, ce qui nous semble hors de portée. Pour ce qui est de la dette, nous pensons qu’elle doit être aménagée, sur une période très longue avec des taux très bas. Or ce n’est pas dans les plans des Européens. La place des femmes dans l’économie est l’un des axes forts de votre deuxième mandat. Quel est l’enjeu? J’ai réussi à convaincre les économiste­s du FMI, qui sont encore à 72% des hommes, puis les membres du conseil d’administra­tion, que la place des femmes était une dimension impérative du développem­ent. Une meilleure participat­ion des femmes augmente la croissance et les revenus par habitant, favorise la diversific­ation des activités, réduit les inégalités… Nous devons donc inciter les pays à changer leur droit. Savez-vous que 90% des pays du monde contiennen­t dans leur législatio­n, voire dans leur Constituti­on, des discrimina­tions à l’égard des femmes? C’est renversant.

Dans les années 1990, le Pérou a changé sa Constituti­on pour abroger tout texte ayant pour effet de les discrimine­r. Cela s’est traduit dans les cinq années suivantes par une augmentati­on de la participat­ion des femmes au marché du travail et un début de la réduction de l’écart de salaires.

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