L'Obs

Les lundis de Delfeil de Ton. Les mots croisés

Où l’on voit qu’il n’y a pas besoin de grand monde pour être grand

- D. D. T.

C’est un morceau de France dont on ne saura jamais comment il eût voté à la primaire de la droite. Il n’a nul habitant. Où se trouve-t-il, vont s’écrier in petto quelques-uns, que je m’y installe. Pauvres d’eux, on pense bien que s’il n’y a personne, c’est que le coin est inhospital­ier.

Il se nomme Clipperton. Comment faut-il prononcer ? On peut être tenté par Clipperton­ne, mais si cette terre est française, pourquoi ne pas dire Clipperton, prononcé ton comme dans mon ton son. L’endroit doit son nom à un certain John Clipperton, flibustier anglais, fâché avec ses compagnons, et qui aurait débarqué là en 1704. Prononçons Clipperton­ne, puisque c’est un nom anglais, avanceront alors certains, on leur fera observer qu’en ces temps anciens, la coutume voulait qu’on francisât la prononciat­ion des noms étrangers. Pourquoi ne pas s’y plier? Maintenons Clipperton, mon ton son Clipperton.

Lorsqu’un Français y débarqua, le 3 avril 1711, John Clipperton n’y était plus et va savoir ce qu’il était devenu. Il sort de l’Histoire. Dubocage y entre. Michel Dubocage, un gars de chez nous. Un nom qui sent bon. Il commandait une frégate, « la Découverte », au nom bien choisi car de fait il découvrit Clipperton qui jusqu’alors ne figurait sur aucune carte. Pourquoi baptisa-t-il l’endroit du nom d’un Anglais ?

En réalité, il l’a baptisé La Passion car on était un Vendredi saint, jour anniversai­re de la mort du Christ. L’île, il serait temps de rappeler que c’est une île, s’est longtemps appelée île de La Passion. On imagine si cette chronique doit beaucoup à Wikipédia, Wikipédia n’explique pas pourquoi l’usage vint de l’appeler île Clipperton.

Allons-y du roman. La Passion se trouve dans le Pacifique, au large (plus de 1 000 kilomètres) du Mexique, les îles les plus proches, vers l’ouest, sont à des 5 000 kilomètres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les EtatsUnis s’en servirent comme d’une base pour leurs avions militaires. Ce sont eux sans doute qui ont popularisé ce nom de Clipperton prononcé Clipperton­ne. Ils ont abandonné la base après la guerre, le général de Gaulle s’est empressé de la récupérer.

Proclamée nôtre en 1858, sous Napoléon III, personne n’avait trouvé à y redire. Les Mexicains, quelques dizaines d’années plus tard, attirés par l’odeur du guano, s’en emparèrent mais, tout occupés à se battre entre eux, ils oublièrent les colons qu’ils y avaient débarqués, lesquels moururent, qui du scorbut, qui d’assassinat­s. En 1931, la Cour internatio­nale établit la souveraine­té française, jamais depuis contestée, même le Mexique s’est incliné en 1959. Dans cet atoll (on aurait pu l’appeler Anatole) se trouve le seul lagon d’eau douce au monde, que de merveilles possède la France, en voilà une qui n’est pas la moindre, aimons notre pays.

La superficie émergée ne dépasse pas 1,7 km2. L’altitude maximum est de quatre mètres. Un rocher culmine à vingt-sept mètres. Ne rêvons pas. C’est désolé. En l’an 2000, suite à un naufrage, les rats sont apparus. Leur population n’a de cesse de croître. Débarquant de temps à autre pour se livrer à d’utiles observatio­ns, les savants en subissent l’importunit­é. Depuis Louis XIV, souverain de par la grâce de Dieu, jusqu’à François Hollande, président éclairé, ainsi passèrent trois siècles de notre présence en cette terre lointaine. L’Assemblée nationale, jeudi 24 novembre 2016, vient encore de s’en préoccuper. L’île sera dotée d’un administra­teur assisté d’un conseil consultati­f, lesquels bien sûr n’y siégeront pas. Ils veilleront à ce que soit respectée tout autour notre zone économique exclusive et que le drapeau soit renouvelé une fois l’an. L’île prendra le nom, qui se veut définitif, de La Passion-Clipperton, un mi-chèvre mi-chou concédé sans doute au fanatisme de libres-penseurs. Si à M. Hollande succédait M.Fillon, que l’on dit papiste, souhaitons que disparaiss­e ce Clipperton et revienne le beau nom d’île de La Passion.

Michel Dubocage, un gars de chez nous.

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