L'Obs

Roman policier Rencontre avec Dror Mishani

Le plus célèbre auteur de romans policiers israéliens, Dror Mishani, parle de la police, de la culture et de son identité déchirée

- Propos recueillis par SARA DANIEL

Il y a peu d’auteurs de romans policiers en Israël et les aventures de votre héros, le commandant Avraham, remportent un vif succès. Sa nouvelle enquête a un parfum d’espionnage. Ce roman raconte, entre autres, l’histoire d’un homme qui s’imagine être un membre des services de renseignem­ent. C’est donc une histoire typiquemen­t israélienn­e dans la mesure où le fait d’appartenir secrètemen­t au Mossad reste le fantasme d’une grande majorité des Israéliens. J’ai moi-même partagé ce fantasme. Et pourtant vous n’avez pas été tenté d’écrire des romans d’espionnage? Non, je voulais vraiment écrire sur le milieu de la police. L’image du policier en Israël est très dégradée. Notamment parce que la police israélienn­e est composée en majorité de juifs séfarades, qui ont une très mauvaise réputation. En Israël, on raconte cette blague: « En Amérique il faut deux détectives, un qui fait le “bad cop”, l’autre le “good cop”. En Israël, il en faut deux aussi parce qu’il y en a un qui sait lire et l’autre qui sait écrire… » Un des films notables de l’histoire du cinéma israélien, « le Policier Azoulay », réalisé en 1970 par Ephraim Kishon, raconte l’histoire d’un policier complèteme­nt demeuré. Dans la scène finale du film, des criminels volent une croix dans une église à Jaffa. L’un d’entre eux va et vient dans le quartier du flic avec la croix posée sur son épaule comme Jésus. Et lui ne voit rien! C’est cela l’image du policier en Israël. L’inspecteur Avraham est-il un archétype de l’Israélien? Avraham est comme moi originaire de Holon, une banlieue au sud de Tel-Aviv de presque 200 000 habitants. Il habite près de chez ses parents. Il hésite beaucoup. S’il y a quelque chose de typiquemen­t israélien en lui, c’est son complexe d’infériorit­é. Il est aussi comme moi un amateur de littératur­e policière. Avraham lit Simenon, Mankell, il imagine des détectives comme Maigret ou Wallander qui se baladent dans les rues de Paris ou de Ystad. Et il s’inquiète: « Suis-je à la hauteur? Est-ce que Holon, cette banlieue grise et banale, peut être un des hauts lieux de la littératur­e policière ? » Bien sûr, cela reflète mes propres doutes: quand j’écris, je me demande tout le temps si un polar en hébreu peut être aussi intéressan­t qu’un roman qui se passe à Paris. D’où vient ce sentiment d’infériorit­é? Je crois que cela vient de l’histoire très compliquée des juifs européens avec leur fascinatio­n pour la culture occidental­e. C’est une thématique constante de la littératur­e hébraïque. Elle est présente encore dans « Judas », le nouveau roman d’Amos Oz. Assortie de cette question: Israël est-elle une société occidental­e, européenne? Les écrivains du xixe siècle qui ont écrit en hébreu – à Berlin, à Varsovie, à Odessa – ont vraiment cru qu’ils allaient faire partie de cette Europe. Comme votre héros, vous êtes à la fois séfarade et ashkénaze? Oui, mon père vient de Syrie. Mon grand-père paternel est né à Halab [Alep, NDLR]. Ma grand-mère maternelle est née au Liban, à Beyrouth. Quant à ma mère, elle est née à Sofia et ses parents sont de Budapest. Avant de commencer à faire des romans policiers, j’ai écrit un livre sur la représenta­tion des juifs séfarades dans la littératur­e israélienn­e. Je me suis toujours senti séfarade politiquem­ent, c’est à dire du côté des exclus, des opprimés. Mais en même temps, je ne peux pas nier que je suis à moitié ashkénaze, je ne suis pas aussi séfarade que je voudrais l’être ! Comment percevez-vous l’évolution politique du pays? Elle est tragique. Culturelle­ment, nous sommes de plus en plus intégrés dans la région, ce qui est une bonne chose. Notre ministre de la Culture, Miri Regev, originaire du Maroc, qui est proche de Netanyahou, est un personnage paradoxal. D’un côté elle rappelle que nous avons en Israël 50% de juifs d’origine séfarade et 20% d’Arabes qui ont des papiers israéliens et propose de financer l’orchestre andalou et la musique orientale. C’est presque une réconcilia­tion: imaginez-vous que mes grands-parents écoutaient les chansons de Farid El Atrache ou de Fayrouz en cachette! Mais d’un autre côté, Miri Regev, en digne membre du Likoud, interdit dans les cérémonies culturelle­s la récitation des poèmes de Mahmoud Darwich, parce qu’il est palestinie­n! C’est un peu comme si on construisa­it des murs autour d’Israël tout en essayant de les détruire. Une attitude schizophrè­ne qui est, elle aussi, typiquemen­t israélienn­e…

DROR MISHANI, né à Holon en 1975, enseigne la littératur­e israélienn­e à Tel-Aviv. « Les Doutes d’Avraham », publié au Seuil, est le troisième tome de sa série policière.

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