L'Obs

Autriche La tentation de l’extrême droite

Norbert Hofer, théoricien d’un parti qui a renoué avec la terminolog­ie du nationalso­cialisme, sera-t-il le prochain président autrichien?

-

Il se renverse sur le dossier de sa chaise, goguenard, et ouvre sa veste : « Je ne suis pas John Wayne! Regardez, je n’ai pas d’arme sur moi. Je la laisse à la maison, bien sûr ! » L’arme en question est un Glock 26, de fabricatio­n autrichien­ne. La rumeur courait que Norbert Hofer, le candidat du Parti de la Liberté (FPÖ), la formation d’extrême droite autrichien­ne, à la présidence de la République, aimait à se promener avec son pistolet. Nulle trace pourtant de Glock, pas plus que de casque ni de bottes. Look de gendre idéal, sourire de pub pour dentifrice, il est arrivé clopin-clopant, appuyé sur sa canne, stigmate d’un accident de parapente qui l’a longtemps laissé en chaise roulante, sous les applaudiss­ements de ses fans pressés au pied de l’immeuble du tabloïd « Österreich ». Venu débattre à la chaîne de télévision appartenan­t au journal avec son rival des Verts, Van der Bellen, il nous glisse quelques mots avant la séance de maquillage devant un bol de pop-corn. Ses réponses sont aussi lisses que ses joues de poupon. Non, il ne renverra pas les 90 000 réfugiés qui sont venus en Autriche en 2015. « La solution est de créer une zone sécurisée en Afrique du Nord, où seuls ceux qui ont le droit d’asile peuvent venir en Europe. » Non, il ne sortira pas de l’Union européenne. « On doit la faire évoluer. Elle est en crise mais elle n’est pas perdue. » Et non, il n’est pas un monstre. « Je suis un homme normal, proche de la population. J’ai travaillé pour une compagnie aérienne avant de passer à la politique. C’est peut-être pour cette raison que les gens sentent que je peux penser comme eux. »

Troisième président de la Chambre basse du Parlement mais inconnu du grand public jusqu’à sa candidatur­e, cet ancien ingénieur aéronautiq­ue de 45 ans fait exploser les scores du FPÖ, aujourd’hui premier parti d’Autriche : en mai, il a raté de peu la première marche du podium en raflant 49,65% des voix au second tour de la présidenti­elle. Une élection que le FPÖ a contestée et qui se rejoue ce 4 décembre. S’il est élu, ce sera une première depuis 1945. Son sourire de « voisin aimable qui va nourrir ton chat quand tu pars en vacances », raille Nina Horaczek, journalist­e au magazine « Falter », est partout. A la télé, sur les affiches, sur les tracts que le vent glacial fait voler dans les rues de Vienne. Bravant la pluie et la nuit, les passants s’attardent auprès de militants du FPÖ qui distribuen­t des prospectus dans le quartier de Meidling. On y découvre Norbert Hofer dans son pavillon de Pinkafeld, un village du Burgenland, au volant de sa tondeuse, réparant une Mobylette dans son garage, ou encore assis sur son canapé, entouré de sa femme, aide-soignante, et de leur fille. « C’était une très bonne stratégie de choisir Hofer pour candidat. Vous l’avez déjà entendu dire quoi que ce soit d’extrême droite? Non! Il a changé l’image du parti, il l’a ouvert à de nouveaux électeurs, il prouve que nous sommes un parti normal, populaire et patriote », se félicite Alexander Pawkowicz, le chef du FPÖ à Meidling.

En vérité, ce n’est pas Norbert Hofer qui a amorcé la « normalisat­ion » du parti d’extrême droite autrichien. Pour conquérir le pouvoir, le charismati­que leader du FPÖ, Heinz-Christian Strache, 47 ans, qui a succédé en 2005 à Jörg Haider, a mené un processus systématiq­ue de dédiabolis­ation du parti, un ripolinage de son discours et une rénovation de son image qui rappellent le travail engagé au FN par Marine Le Pen, avec laquelle il entretient de très bons rapports. Pour séduire les jeunes, il se déguise en Che Guevara et chante du rap. Pour ratisser au centre, fini les propos antisémite­s et l’apologie du national-socialisme. On célèbre désormais « le patriotism­e autrichien » contre ses bêtes noires : l’immigratio­n, « l’invasion » de l’islam, la mondialisa­tion. « Ce parti a changé. Les autres accusent Strache d’être droitier, populiste. Mais quand on le voit renvoyer du parti tous ceux qui tiennent des propos antisémite­s ou racistes, on ne peut que croire en son honnêteté », déclare Ursula Stenzel, célèbre présentatr­ice de télé puis députée européenne du Parti populaire (ÖVP), d’origine juive, qui a fait scandale l’an dernier lorsqu’elle a rallié les rangs du FPÖ.

LES SOCIAUX-DÉMOCRATES BRISENT LE TABOU

Rudolf, ex-cheminot de 61 ans, sirote le traditionn­el vin chaud au comptoir d’un stand de punch du quartier de Simmering, un bastion viennois social-démocrate qui a basculé en 2015 dans l’escarcelle de l’extrême droite. Il a lui aussi succombé aux sirènes de Hofer. « J’ai toujours voté socialiste. Mais ce sont désormais des vieillards accrochés au pouvoir. Hofer est jeune, proche du peuple. Comme chez vous Marine Le Pen. Leur idéologie n’est plus un problème. » A côté, Petra, 52 ans, chargée de communicat­ion, sent sur elle les regards pesants des autres clients de la buvette : « Non, le FPÖ n’est pas un parti comme les autres, il n’a pas abandonné ses thèses racistes. Mais je suis désormais en minorité ici », souffle-t-elle.

La vague bleue balaie tout sur son passage. Lors des élections régionales de 2015, le FPÖ s’est hissé à la deuxième place dans le Land de Vienne. En Styrie, il talonne les sociaux-démocrates du SPÖ et les conservate­urs de l’ÖVP. En Haute-Autriche, l’ÖVP a carrément accepté de gouverner avec lui. Et au Burgenland, ce sont… les sociaux-démocrates qui ont brisé le tabou, violant la ligne officielle du SPÖ qui interdit depuis trente ans toute coopératio­n avec l’extrême droite. Les deux formations se sont entendues sur un programme qui met l’accent sur la lutte

 ??  ?? Norbert Hofer, 45 ans, a dirigé la rédaction du programme du Parti de la Liberté en 2011.
Norbert Hofer, 45 ans, a dirigé la rédaction du programme du Parti de la Liberté en 2011.
 ??  ?? Des supporters du FPÖ en campagne électorale en septembre.
Des supporters du FPÖ en campagne électorale en septembre.

Newspapers in French

Newspapers from France