L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- J. G. Par JÉRÔME GARCIN

A insi donc la Reine Margot est-elle devenue médecin du travail chez Melidem, une plateforme de téléphonie aux méthodes managérial­es cassantes, voire assassines. Elle porte un grand manteau rouge, digne des Valois, qu’elle ne craint pas de comparer à « une cuirasse sanglante » et qui ferait d’elle « une chevalière blessée ». Filmée par Louis-Julien Petit, qui n’est pas Patrice Chéreau, Isabelle Adjani joue « Carole Matthieu » (en salles le 7 décembre) comme si elle était l’héroïne sacrificie­lle d’une très vieille tragédie. C’est la Saint-Barthélemy à France Télécom. Elle sou re le martyre, est pétrifiée par la douleur, étou ée par la colère, assommée par les drames humains qui la dépassent. Elle a la compassion grandiloqu­ente et des hallucinat­ions déclamatoi­res. On aimerait un peu plus de retenue, de pudeur. Car on n’est pas chez Alexandre Dumas ni dans le Paris à feu et à sang de Charles IX. On est chez Marin Ledun, l’auteur des « Visages écrasés » (Points Thriller, 2012), dont Isabelle Adjani a acquis les droits pour en confier l’adaptation au réalisateu­r de « Discount ». Le livre racontait très bien, à la première personne (celle du Dr Carole Matthieu), ce qu’est, aujourd’hui, la sou rance au travail, comment on tyrannise, broie, humilie, surveille et punit les salariés d’une entreprise qui ressemble à tant d’autres, et pourquoi certains employés sont condamnés à la longue maladie quand ils ne sont pas acculés au suicide. Ultralibér­alisme, ses o res illimitées de désespoir et ses forfaits commis en toute légalité. Un geste terrible du médecin transforme cette autopsie du management par la terreur en polar très noir. Il eût fallu un grand cinéaste pour faire de ce livre implacable autre chose qu’un reportage bâclé pour France 3 Régions où Isabelle Adjani, lourde de sa propre légende inemployée, semble errer comme une reine déchue. Mais d’où vient que, depuis des années, cette actrice exceptionn­elle fasse, au théâtre (oh, « Kinship ») comme au cinéma (oh, « la Journée de la jupe »), des choix si éloignés de son art, de l’art tout court ? La sou rance au travail, ce n’est pas seulement celle de la plateforme Melidem, c’est aussi celle que, longtemps après avoir été Camille Claudel ou Emily Brontë, elle semble exprimer désormais sur un plateau. « Les choix que je fais, tente d’expliquer Isabelle Adjani dans le dossier de presse, sont liés à ces rencontres avec des cinéastes qui portent leur projet ressenti… du fond des entrailles souvent nouées. » C’est bien là le problème.

Newspapers in French

Newspapers from France