L'Obs

Le choix du président

Après un week-end sous haute tension au sommet de l’Etat, Manuel Valls est rentré dans le rang. Aux yeux du président, la plupart des conditions sont désormais remplies pour qu’il se représente

- Par CÉCILE AMAR

Longtemps, il n’a pas voulu voir. Longtemps, il a voulu s’accrocher à l’idée que la rationalit­é était la seule boussole de la politique. « Si j’y vais, il ne peut pas y aller. Si je n’y vais pas, il sera bien placé. » Voilà ce que dit depuis des mois François Hollande à ceux qui s’inquiètent des velléités de candidatur­e de Manuel Valls. Voilà ce que disait encore en privé le président il y a quelques jours. A tous ceux qui lui affirmaien­t : « Valls va sortir », « Manuel va y aller contre toi », François Hollande répétait, comme pour mieux se rassurer : « mais non » ou « il ne peut pas ». Ce président, si décrié dans son camp, ne voulait pas voir, pas croire, qu’il n’était entouré que de traîtres. L’été dernier, déjà, il n’avait pas voulu voir que son petit protégé Emmanuel Macron allait le trahir. Et pourtant… Même cécité aujourd’hui. Même incapacité à anticiper, à comprendre comment la déception qu’il engendre se transforme en moteur de combat contre lui.

Cette fois, il a ouvert les yeux. Il a lu la presse, entendu celui qui proclamait sa loyauté et dénonçait la « trahison » de Macron se mettre à fustiger son manque d’incarnatio­n, évoquer la « honte » des militants socialiste­s après la sortie du livre des journalist­es Gérard Davet et Fabrice Lhomme, « Un président ne devrait pas dire ça… ». Leurs discussion­s ont été « dures », comme Hollande l’a raconté à ses proches. « “Honte”, ce mot ne peut pas être utilisé. Nous avons eu cette explicatio­n », confie-t-il alors à ses amis. Ses interlocut­eurs se sont tous fait la même remarque : « Il ne t’interrompt pas quand tu dis du mal de Valls, et lui-même est maintenant capable d’en dire. Vu le niveau des attaques de Valls contre lui, c’est normal. Mais c’est notable », raconte l’un d’eux. Le chef de l’Etat a toujours essayé de maintenir de bonnes relations avec son Premier ministre pour que les institutio­ns fonctionne­nt, pour que le pays soit dirigé jusqu’à la fin du quinquenna­t. Il a toujours pensé que, quel que soit son choix pour la présidenti­elle, leurs sorts étaient liés. Dans son esprit à lui, les choses étaient claires. Il a réalisé que la réciproque n’était plus forcément vraie.

Le week-end dernier, François Hollande a lu, estomaqué, l’interview de son Premier ministre dans « le Journal du Dimanche », dans laquelle celui-ci n’excluait pas de se présenter contre lui à la présidenti­elle. « Sous la Ve République, le Premier ministre est le chef de la majorité. Le bilan de Valls comme chef de la majorité, c’est quoi ? Les départs de Montebourg, Hamon, Taubira et Macron. Trois sur quatre sont candidats, chapeau l’artiste ! » souligne un proche de

“À LA DERNIÈRE MINUTE, IL VOIT SORTIR FILLON ET IL SE DIT QUE C’EST JOUABLE, QU’IL VA RESSOUDER LA GAUCHE.”

Hollande. Certains ministres, certains amis pensaient que Hollande devait virer Valls. Mais rien ne s’est passé. Ils se sont expliqués et le Premier ministre a plié. « Ils ont décidé de faire baisser la pression », raconte un poids lourd de la majorité. « On est en phase de désescalad­e », ajoute un autre dirigeant socialiste.

Le chef de l’Etat ne fait jamais acte d’autorité. En politique, il préfère être trahi que trahir. Si Manuel Valls veut se présenter, « qu’il le dise », lançait le président à des proches. Dans ce cas-là, il aurait immédiatem­ent quitté Matignon. Un hollandais de toujours s’étrangle : « Son Premier ministre candidat contre lui, je ne peux pas l’imaginer, ce serait une bombe nucléaire, cela ferait tout exploser. Les seules fois où le Premier ministre a été candidat contre le président de la République, c’était en période de cohabitati­on. » Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Quelques jours avant cette crise, un ministre pro-Valls affirmait : « Manuel ne putschera pas. Si Hollande veut jouer les kamikazes, il fera sauter la baraque et, à ce moment-là, toutes les appréhensi­ons qu’on a contre lui depuis des années seront confirmées. Il y aura une révolte dans la primaire, mais voilà, on ne va pas se payer le ridicule d’un président de la République rejeté de partout et qui affronte son Premier ministre candidat dans une primaire. Dans ce cas-là, il faudrait tous les envoyer en hôpital psychiatri­que. »

Ce qui fait enrager Manuel Valls, c’est que François Hollande ne lui dit pas ce qu’il compte faire. Entre eux, c’est un jeu de poker menteur. « Ils ne se parlent pas. François évite de poser le problème. Tant qu’il ne savait pas qui serait le vainqueur de la primaire de la droite, il ne voulait pas se dévoiler », témoigne un de ceux qui essaient de faire le go-between entre les deux hommes. « Je n’ai fait part à personne de ma décision », se vante, sourire en coin, le chef de l’Etat. Ce n’est pas tout à fait vrai.

Le président était face à lui-même. Il a hésité, a flanché. Il fut parfois prêt à renoncer. La surprise Fillon l’a finalement décidé :

il veut se représente­r devant les Français. « Il n’y a plus de doute, j’attends juste l’entrée en campagne », raconte l’un des rares mis dans la confidence. « Le doute n’existe plus », abonde un autre. « Dans la dernière ligne droite, il croyait que c’était cuit. Et, à la dernière minute, il voit sortir Fillon et il se dit que c’est jouable, qu’il va ressouder la gauche. Donc François va y aller », avoue un troisième.

Y aller en passant par la primaire des socialiste­s ? Ou y aller directemen­t face aux Français ? Cette question a ressurgi dernièreme­nt. Un vieil ami en convenait lundi matin, au lendemain de l’interview provoc du Premier ministre dans le « JDD » : « C’est le week-end le pire qu’on ait connu depuis je ne sais même pas quand. Mélenchon a les voiles gonflées par le soutien des communiste­s. Les radicaux y vont seuls, en dehors de la primaire. Montebourg fait appel aux électeurs de droite pour sortir le président de la République. Hamon, qui a signé une motion de censure contre le gouverneme­nt, se présente à la primaire. Filoche aussi, et pourtant il est devant la commission des conflits du PS parce qu’il a insulté le président. Barto en rajoute une couche en appelant à une primaire avec Valls contre Hollande. Et Valls fait son interview. Macron, Mélenchon, Jadot sont déjà candidats hors primaire. Et il faudrait qu’on fasse cette foutue primaire, qu’il y aille avec tous ces pingouins ? S’il veut la faire supprimer, il faudrait qu’il fasse acte d’autorité. » Un dirigeant de la majorité s’énerve : « La petite musique hollandais­e est simple : “S’il va à la primaire, il la perd, donc il faut l’annuler”, mais ce n’est pas possible. Notre électorat est totalement déboussolé. Si on lui impose des candidats dont il ne veut pas, je ne sais pas comment ça va finir. Je ne dis pas : “Il fait ses valoches et il s’en va”, mais Hollande doit accepter ou entendre que dans le pays, il y a un rejet personnel contre lui du même ordre que celui qui existait contre Sarko. Il doit en tenir compte et y remédier. »

Le président s’en est ouvert récemment à certains de ses interlocut­eurs : « La primaire, ça va être compliqué. Je serai président de la République la journée et le soir, je ferai des débats contre mes anciens ministres ? » Il ne l’a jamais dit publiqueme­nt, mais il a pourtant bien donné son accord à l’organisati­on de cette consultati­on. Le jour où Jean-Christophe Cambadélis faisait voter par le conseil national du PS le principe de cette primaire, en juin dernier, François Hollande, balayant les arguments constituti­onnels et les risques, affirmait devant des proches : « Je suis déjà contesté. La contestati­on existe. Je ne la provoque pas. J’ai dit que j’annoncerai mon choix en décembre. Si je décide d’y aller, dès que je suis candidat, je reste président, mais je ne suis plus un extraterre­stre qui ne peut pas condescend­re à être dans la campagne. Dès le lendemain de mon annonce, je suis candidat, primaire ou pas. Il faut juste que la primaire soit un temps de la campagne électorale, qu’elle soit tournée vers les Français. La déclaratio­n de candidatur­e, la primaire et la campagne présidenti­elle se feront dans la foulée : on s’entraîne, on passe avec un élan. »

A l’époque, son mantra était simple : « Si je ne pensais pas que je pouvais la gagner, je n’irais pas. Si je ne peux pas gagner la primaire, c’est que je ne peux pas gagner la présidenti­elle. » CQFD. Cambadélis le promet aujourd’hui : « La primaire ne sera pas annulée. » Hollande devra s’y plier. Malgré les risques. « Le président ne peut pas affronter le Premier ministre et le premier secrétaire », s’amuse un dirigeant socialiste.

François Hollande veut donc être à nouveau candidat. Il a l’intention de demander aux Français de prolonger son mandat. Quel serait le sens d’une nouvelle candidatur­e ? Il ne peut se contenter d’un « la droite c’est mal ». « Le problème de la gauche, c’est le candidat qu’elle a en face, mais c’est surtout l’extrême droite et la dispersion de son propre camp », reconnaît-il en privé. Le président a confié à des proches son diagnostic : « La droite est conservatr­ice et libérale, le pays n’est ni conservate­ur ni libéral. » Cette droite dure, c’est l’ennemi qu’il lui faut, celui qui pourrait ressouder la gauche. Hollande sait déjà sur quoi il fera campagne. « En 2017, l’aspiration est à la protection. Sarkozy avait pensé que c’était l’identité, il s’est trompé. La protection sociale, c’est là que la gauche a un avantage, je l’espère. Dire qu’on est un rempart n’empêche rien. Il faut avancer, donner à chaque individu la certitude qu’il pourra s’en sortir. Nous avons fait le travail de redresseme­nt économique. Le programme de la droite est dangereux et inutile. C’est le modèle social qui fait qu’on est protégé quand on est vieux, malade, etc. Le bon thème de la gauche, c’est la protection des fondamenta­ux, la protection du modèle social, la protection de la paix. » Sa conclusion : « Il y a un espace pour la gauche dans la présidenti­elle. » Autrement dit une place pour lui.

“ILS ONT DÉCIDÉ DE FAIRE BAISSER LA PRESSION.” UN DIRIGEANT SOCIALISTE

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A l’Elysée le 23 novembre 2016.
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