L'Obs

Les Tuniques bleues rempilent

Même moins bon, le 60e album des “Tuniques bleues” poursuit la légende d’une série à l’antimilita­risme joyeux

- ARNAUD GONZAGUE

LES TUNIQUES BLEUES. CARTE BLANCHE POUR UN BLEU, PAR WILLY LAMBIL ET RAOUL CAUVIN, DUPUIS, 48 P., 10,60 EUROS.

Ah, la bonne idée! Pour le soixantièm­e tome de sa série « les Tuniques bleues », le scénariste Raoul Cauvin a transformé en légume, à la suite d’une explosion, l’un des deux héros, le sergent Chesterfie­ld. Le caporal Blutch, son comparse du 22e de cavalerie (la série se déroule pendant la guerre de Sécession), pour le faire sortir de sa torpeur, l’emmène sur des lieux du passé et lui présente de vieux personnage­s, Cancrelat, Miss Appeltown, Zizi Asphodèle, qui réjouiront les nostalgiqu­es. Mais il y a un hic. « En avant l’amnésique! » (1989) exploitait déjà le même scénario – c’est alors Blutch qui était gaga – avec plus de tonus que cette « Carte blanche ». Lambil (80 ans) et Cauvin (78 ans) ont perdu de leur allant depuis quelques années. Pour autant, ne boudons pas cette série créée en 1968 dans le magazine « Spirou » et souvent jugée trop commercial­e.

Pourquoi? D’abord parce que Willy Lambil est un immense dessinateu­r. Son trait solide, d’une folle élégance, fait merveille dans les albums comme « Des bleus et des bosses » (1986), « l’Or du Québec » (1987) ou « la Rose de Bantry » (1989), mais aussi dans les sept tomes de la drolatique série autobiogra­phique « Pauvre Lampil » (19741996). En outre, si Cauvin est trop prolifique pour être toujours génial, il a imaginé un duo, Chesterfie­ld/Blutch, qui échappe au classique diptyque héros/clown (Tintin/ Haddock, Spirou/Fantasio…). Le premier est en effet un militaire obtus, loyal jusqu’à la sottise quand le second est le tire-au-flanc sardonique. Naturellem­ent, ces deux-là se détestent, mais Cauvin est toujours du côté de Blutch (dont le rire « yêk yêk yêk » est mythique). Car « les Tuniques bleues » sont sans complaisan­ce : la guerre y est présentée comme une connerie, ses héros des imbéciles et ses officiers des sadiques. Voilà pourquoi les meilleurs albums de la série – « les Déserteurs » (1974), « Black Face » (1983), « les Cinq Salopards » (1984), « les Bleus en folie » (1991) – comptent parmi les sommets de la BD franco-belge.

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