Eastwood Airlines
SULLY, PAR CLINT EASTWOOD. DRAME AMÉRICAIN, AVEC TOM HANKS, AARON ECKHART, VALERIE MAHAFFEY, DELPHI HARRINGTON (1H36).
Cela commence par un cauchemar : aux commandes d’un A320 en perdition, Chesley Sullenberger, que tout le monde appelle « Sully », ne peut éviter les tours de Manhattan. Or chacun sait que, ce 15 janvier 2009, Sully a réussi à poser l’appareil sur l’Hudson, sauvant ainsi la vie des 155 personnes à bord, passagers et membres d’équipage. Le nouveau film de Clint Eastwood s’attache moins à l’exploit lui-même qu’aux événements qui ont suivi. Les médias et l’homme de la rue dépeignent Sully comme le héros… que précisément il considère ne pas être, convaincu de n’avoir fait que ce qu’il devait faire. Mais d’ailleurs a-t-il réellement fait ce qu’il devait faire ? Une commission d’experts prétend le contraire : il aurait pu et dû rejoindre LaGuardia ou Teterboro et y poser l’Airbus en toute sécurité. Ce que met en jeu le film, c’est l’opposition entre la croyance aveugle en la technologie (simulations de vol et algorithmes paraissent démontrer que l’avion aurait pu voler jusqu’à un aéroport) et la foi en la supériorité de l’instinct humain. Y repérer une distinction entre le cinéma auquel se voue Hollywood désormais et celui qu’Eastwood s’obstine à servir, lui qui justement ne fonctionne qu’à l’instinct? Sans doute. Pourtant, ce qui frappe ici, c’est le manque absolu de prétention d’un film qui se trouve en adéquation parfaite avec son personnage principal et l’histoire racontée. Et si l’instinct d’Eastwood le conduit à s’égarer parfois, comme lorsqu’il se déclare en faveur d’un Donald Trump dont les idées sont à l’opposé de celles qu’il exprime lui-même (oui, Eastwood est politiquement conservateur et socialement progressiste), ses films démontrent la sûreté de son point de vue. Celui-ci après bien d’autres, emballé en à peine plus de 90 minutes, tendu, droit, prenant, sans une once de graisse, servi à la perfection par un Tom Hanks (photo) dont on se demande comment et pourquoi le cinéaste ne l’avait pas rencontré plus tôt. Tout ce que « Sully » met en oeuvre est comme le précipité d’une manière d’être, de filmer et d’incarner qui leur appartient et que l’on se sent de faire sienne. Sully, le pilote, ressemble à Tom Hanks qui ressemble à Eastwood, qui ressemble à « Sully », le film. Voilà bien qui permet de reconsidérer la notion même d’auteur, à laquelle le cinéaste s’est toujours bien gardé de se référer.