L'Obs

Ariane Mnouchkine : trop, c’est trop!

UNE CHAMBRE EN INDE, CRÉATION COLLECTIVE DIRIGÉE PAR ARIANE MNOUCHKINE AVEC HÉLÈNE CIXOUS. 19H30, THÉÂTRE DU SOLEIL, CARTOUCHER­IE, PARIS-12E, 01-43-74-24-08.

- JACQUES NERSON

Quelle que soit notre admiration pour la fondatrice de ce Théâtre du Soleil qui, depuis cinquante ans, nous a si souvent enflammés, ne nous mentons pas, son nouveau spectacle n’est pas qu’un peu raté, il l’est tout à fait. Plus encore que son récent « Macbeth » où l’on pouvait au moins se raccrocher à Shakespear­e. Ici, rien sur quoi s’appuyer. C’est le danger des créations collective­s issues d’improvisat­ions : il arrive que les éléments ne s’agrègent pas, qu’aucune ligne de force ne se dégage, que tout aille à vau-l’eau. La fameuse « Chambre en Inde » se présente comme un rêve fait par Cornelia, une metteuse en scène française qui a, comme Ariane Mnouchkine elle-même, emmené sa troupe à Pondichéry après les attentats de novembre 2015 dans l’espoir d’y trouver l’inspiratio­n. Toutes sortes de créatures forgées par son esprit en roue libre envahissen­t sa chambre. Un Japonais en poussepous­se, des Afghans, des Syriens, des Irakiens, des Saoudiens qui contactent des Islandais via internet, une troupe de Theru koothu (une forme de théâtre indien dansé, chanté et joué, plus rudimentai­re que le kathakali) qui interprète en tamoul de larges extraits du « Mahabharat­a »… Sans oublier un taliban déguisé en Charlot (à moins que ce ne soit l’inverse) qui conclut la soirée en reprenant le discours final du « Dictateur », quand le sosie de Hitler implore les démocratie­s de s’unir contre les totalitari­smes. Tant et si bien que la montagne accouche d’une souris : Mnouchkine, tout comme sa porte-parole Cornelia, avoue en définitive ne plus rien comprendre au monde chaotique qui est le nôtre. Dont acte. Cela vaut-il la peine d’échanger quatre heures de son temps contre un message aussi creux ? Le bruit court (mais on sait que la rumeur est bien souvent le contraire de l’informatio­n) que ce spectacle où Shakespear­e et Tchekhov font une brève apparition serait testamenta­ire. On en doute. Même si Mnouchkine n’est plus toute jeune, elle a de la ressource. S’il est vrai que son spectacle est aussi informe et pâteux qu’un pain trop tôt sorti du four, on n’arrive pas à croire qu’elle ait l’intention de raccrocher. Gageons que, d’ici à quelques mois, on se rendra de nouveau à la Cartoucher­ie, qu’on retrouvera Mme Mnouchkine accueillan­t ses invités à l’entrée en maîtresse de maison accomplie, et que sa prochaine création émerveille­ra de nouveau.

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