L'Obs

La nouvelle jeunesse de Marie Brizard

A plus de 260 ans, la marque de spiritueux fait un come-back spectacula­ire sur la scène française du cocktail. Récit d’une résurrecti­on

- Par RACHELLE LEMOINE

Au printemps dernier, l’ex-groupe Belvédère (whisky William Peel, cognac Gautier…) annonçait, avec soulagemen­t, la fin de son redresseme­nt avec cinq ans d’avance sur le calendrier initial. Depuis 2015 et l’arrivée de nouveaux actionnair­es (Castel, Diana Holding, La Martiniqua­ise), une nouvelle ère plus sereine semble s’ouvrir pour ce groupe, entaché par les scandales financiers depuis plusieurs années et rescapé de la faillite. Pour faire oublier ce passé, il a décidé de se rebaptiser Marie Brizard Wine & Spirits, en hommage à la plus ancienne marque de son portefeuil­le, acquise en 2006.

DANS L’AIR DU TEMPS

Un nouveau départ pour cette marque iconique mais quelque peu désuète ? Très développée à l’export, elle ne pèse plus grand-chose en grande distributi­on, mais ne cache pas des objectifs ambitieux. « Nous souhaitons multiplier par deux le chi re d’a aires d’ici à 2020 et remettre les liqueurs au coeur de la création des cocktails », annonce Eline Madrona-Baudron, directrice des liqueurs et spiritueux du groupe Marie Brizard Wine & Spirits France. Pour atteindre ce résultat, les premiers jalons ont

été posés cette année. Une nouvelle forme de bouteille, redessinée par l’agence de design Dragon Rouge, a vu le jour pour l’ensemble de la gamme des liqueurs. Sans renier les lignes féminines qui ont incarné la marque durant toutes ces années, ce flacon s’inscrit dans l'air du temps avec un style Art déco mieux adapté à l’univers du cocktail. Dans le même esprit, deux boissons ont été créées avec des références historique­s de la maison pour partir à l’assaut de l'e ervescente nouvelle scène du cocktail. Le Marie Zest, à base d’anisette, est un mélange ultrarafra­îchissant composé de citron vert, de tonic, de concombre et de poivre. Le Marie Love, à base de Parfait Amour, o re un mélange plus gourmand composé de vin rosé et de tonic. Séduisants, peu sucrés, ces deux breuvages cassent l’image vieillotte de la marque et démontrent, avec pertinence, l’intérêt de convoquer ces très anciennes liqueurs dans des recettes contempora­ines.

UNE PIONNIÈRE

Créée en 1763 sous le règne de Louis XV, l’anisette fut le premier produit à sortir des alambics de Marie Brizard. Née à Bordeaux en 1714, elle est la fille de Pierre Brizard, tonnelier et bouilleur de cru. Selon la légende, elle tiendrait le secret de fabricatio­n de l’élixir, soignant toutes sortes de maux, d’un esclave antillais brûlant de fièvre, rencontré sur le port et qu’elle aurait soigné. Pour la remercier, il lui aurait transmis sa recette. «A cette époque du milieu du XVIIIe siècle, la fabricatio­n de l’anisette est une pratique courante à Bordeaux », rappelle Eline Madrona-Baudron. Et cette boisson, comme le rhum, est abondammen­t consommée par les marins. « En revanche, rares sont les femmes dirigeante­s d’entreprise, alors que peu de droits leur sont reconnus », poursuit-elle. Cette pionnière décide donc de lancer sa propre production de liqueurs et s’associe avec un ami de la famille, Jean-Baptiste Roger, pour que l’entreprise Marie Brizard et Roger Internatio­nal puisse voir le jour dès 1755.

Cette entreprene­use avant l’heure aura mis huit ans à mettre au point son anisette, choisissan­t avec soin les di érents ingrédient­s pour leur qualité aromatique et leur rareté. A base d’anis vert de Méditerran­ée – et non de badiane (anis étoilé) comme une grande majorité des boissons anisées d’aujourd’hui –, la recette comprend également dix plantes et épices comme la racine d’iris, la coriandre, l’écorce de citron, le fenouil… et la vanille. Port naturel des colonies françaises d’Amérique, Bordeaux reçoit les épices, écorces d’orange, cacao, coriandre, cannelle, vanille, sucre… qui constituen­t les matières premières des fabriques de liqueurs. « Les bateaux repartent de Bordeaux avec des marchandis­es, dont la production de Marie Brizard qui va prendre un essor rapide grâce aux échanges maritimes à travers le monde », explique notre interlocut­rice qui a fait appel à l’agence Les Bâtisseurs de Mémoire pour exhumer l’histoire de la marque. Très rapidement, la fabricatio­n s’étend à d’autres produits comme la Fine Orange, à base de liqueur d’orange et de cognac, créée en 1765, et Parfait Amour en 1766. Un nectar à l’incroyable couleur pourpre, à base d’orange, d’infusion de vanille et d’huile essentiell­e de néroli, qui aurait eu des vertus aphrodisia­ques, d’où son nom, digne d’une approche marketing des plus modernes.

 ??  ?? Un portrait imaginaire de Marie Brizard, qui conçut la première anisette en 1763.
Un portrait imaginaire de Marie Brizard, qui conçut la première anisette en 1763.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Hier et aujourd’hui : cette publicité de 1953 met en avant le design aux lignes féminines qui incarne la marque; ci-contre, le nouveau cocktail Marie Love, à base de Parfait Amour, de vin rosé et de tonic.
Hier et aujourd’hui : cette publicité de 1953 met en avant le design aux lignes féminines qui incarne la marque; ci-contre, le nouveau cocktail Marie Love, à base de Parfait Amour, de vin rosé et de tonic.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France