L'Obs

Alexander Van der Bellen

Premier écologiste à remporter une élection présidenti­elle en Europe, le nouveau chef de l’Etat autrichien se pose en rempart contre l’extrême droite

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PROFESSEUR

Ses partisans l’appellent « le Professeur ». Visage sévère, ton monocorde, style austère: ce grand septuagéna­ire à la barbe de trois jours, qui s’accorde de longs silences avant de répondre aux journalist­es, n’a pas volé son surnom. Ce prof d’économie a mené une carrière universita­ire dans la ville tyrolienne d’Innsbruck, puis à Vienne. Doyen de la faculté de sciences économique­s et sociales, il a publié plusieurs ouvrages sur les liens entre le marché et l’Etat.

ROUGE ET VERT

« De l’anticapita­liste arrogant que j’étais au généreux libéral de gauche que je suis devenu, j’ai fait un bout de chemin. » En effet, Van der Bellen a d’abord été membre du Parti social-démocrate puis il est passé chez les Verts, avant de se lancer en indépendan­t dans la présidenti­elle de 2016. Porte-parole des écologiste­s de 1997 à 2008, il les a convaincus d’abandonner l’anticapita­lisme pour se convertir au libéralism­e économique, ce qui leur a permis de devenir la quatrième force du pays. Mais ce parcours inspire la méfiance: Van der Bellen est jugé trop libéral par une partie de son camp et trop à gauche par ses adversaire­s: « C’est une pastèque. Vert dehors, mais rouge à l’intérieur. Un socialiste, quoi », a décrété l’un d’eux!

REVANCHE

Il attendait depuis longtemps de croiser le fer avec l’extrême droite. En 2008, il avait candidaté à la vice-présidence de l’Assemblée nationale pour faire barrage à Martin Graf, une figure controvers­ée du Parti de la liberté (FPÖ), l’extrême droite autrichien­ne. Mais les députés lui avaient préféré son adversaire. Aujourd’hui, il savoure sa revanche: il a battu son rival du FPÖ Norbert Hofer à la présidenti­elle une première fois en mai dernier, avant que le scrutin ne soit invalidé pour cause d’irrégulari­tés, puis une seconde fois, le 4 décembre, pour de bon, avec plus de 53% des voix.

POUVOIR

La fonction de président de la République est surtout honorifiqu­e. Mais il a le pouvoir de renvoyer le gouverneme­nt et de nommer le chancelier. Un droit dont Van der Bellen compte se servir: il a assuré qu’il refuserait de nommer à la chanceller­ie le sulfureux chef du FPÖ, Heinz-Christian Strache. Or, ce dernier ne cache pas ses ambitions: à la tête du premier parti d’Autriche, qui vient de prouver qu’il pouvait attirer plus de 46% des voix, il entend gagner les législativ­es de 2018.

ÉMIGRÉ

Van der Bellen l’a rappelé aux 8,5 millions d’Autrichien­s qui ont ouvert leurs portes à 130 000 migrants depuis 2015: lui aussi est « un enfant de réfugiés » et défend une société multicultu­relle. Sa famille a émigré au XVIIIe siècle des Pays-Bas vers la Russie, d’où ses grands-parents ont fui la révolution bolcheviqu­e pour s’installer en Estonie. Son père, aristocrat­e russe, et sa mère, chanteuse estonienne, ont à leur tour fait leurs valises à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour échapper à l’Armée rouge. Ils ont trouvé refuge en Autriche, où Alexander est né en 1944.

TYROL

Il fume. Beaucoup. Pourtant, en bon écolo, il a grandi en pleine nature. C’est au pied des glaciers alpins du Tyrol, une province frontalièr­e de l’Italie, où sa famille s’est réfugiée quand les Soviétique­s sont entrés dans Vienne en 1945, qu’il a passé « une enfance idyllique » et, plus tard, élevé ses deux fils.

PRAGMATISM­E

Candidat des villes, des CSP+, des intellectu­els, il s’est positionné au centre pour rallier à lui les électeurs de l’ÖVP (le parti conservate­ur) et du SPÖ (le parti social-démocrate), les deux grandes formations éliminées dès le premier tour et qui dirigent pourtant le pays en coalition. Quitte à se risquer là où on ne l’attendait pas: sur la « tolérance zéro » en matière de sécurité, la célébratio­n de la patrie et l’ode au terroir.

EUROPE

A peine élu à la présidence du pays, il a prononcé ses premiers mots pour l’Europe : « Je me suis battu pour une Autriche pro-européenne! » Ce fervent Européen, qui a reçu le soutien du président de la Commission Jean-Claude Juncker, a réussi à attirer sur son nom tous ceux qui craignaien­t de voir l’Autriche tourner le dos à l’Union européenne en cas de victoire de l’extrême droite.

VOTE UTILE

C’est la première élection d’un écologiste à la tête d’un Etat européen. Mais ce fut un vote de raison plus que d’adhésion. Et il le sait, lui qui a déclaré : « Je demande à tous ceux qui ne m’aiment pas, mais aiment peut-être encore moins Norbert Hofer, de voter pour moi. » Il est apparu comme « le moins diabolique » des deux, selon la presse.

GERTRUDE

Quelques jours avant l’élection, Gertrude, survivante de la Shoah de 89 ans, a appelé les Autrichien­s, dans une vidéo sur la page Facebook de Van der Bellen, à faire barrage à l’extrême droite. C’est le dernier exemple d’une campagne efficace menée sur internet qui a empêché la fachosphèr­e d’occuper le terrain.

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