Un retrait rassurant
Le renoncement de Hollande est la conséquence de son incapacité à théoriser son engagement d’être un président normal
Le 1er décembre, je participais à un débat à Budapest sur le thème du chef en démocratie lorsque j’ai appris que François Hollande ne briguerait pas un nouveau mandat. Le contraste est saisissantentre la situation française et la situation hongroise, où le Premier ministre Viktor Orbán jouit d’une très forte popularité. Faut-il en conclure, comme Marine Le Pen et une part des commentateurs, que les peuples d’Europe et des Etats-Unis (avec l’élection de Trump) aspirent à des dirigeants autoritaires (et populistes, et xénophobes)? Et que le président français a manifesté la déroute d’un réformisme mou, manquant d’incarnation et d’autorité politique ?
Pour le premier point, il est clair qu’une vague idéologique traverse l’Europe, qui rappelle ce que le juriste allemand Hermann Heller avait diagnostiqué, dans les années 1930, comme un « libéralisme autoritaire » : libéral au plan économique, autoritaire au plan politique, identitaire au plan culturel. Mais les comparaisons qui concluent benoîtement à l’irrésistible popularité de l’autoritarisme sont biaisées: aux Etats-Unis, la victoire de Trump n’est pas la traduction d’un triomphe populaire, puisqu’il a été distancé de plus de deux millions de voix; en Hongrie, les grands médias sont aux ordres du pouvoir, et si le « chef » est populaire, cela est aussi le fruit d’un endoctrinement de l’opinion.
Que le « numéro un » français renonce à reconquérir le pouvoir a, à cet égard, quelque chose de rassurant : le pouvoir démocratique reste, selon les mots de Claude Lefort, un lieu vide, qui n’appartient à personne et fondamentalement exposé à la critique, au désaveu, à l’alternance. Et si François Hollande est assurément un personnage bien peu charismatique, son dernier discours, sobre mais net, l’a doté d’une sorte de charisme ponctuel et particulier, qu’on pourrait désigner comme un « charisme de responsabilité ». Il n’ajoutera pas sa candidature à l’éparpillement de son camp, et ce geste – quelles que soient ses motivations intimes –nous élève au-dessus de la politique comme lutte permanente entre des ego. Saluons-le.
Néanmoins, il y a bien un problème Hollande: la figure d’un « président normal » n’est jamais parvenue à se cristalliser, l’efficacité anti-sarkozyste du slogan n’a pas survécu à l’élection. C’est qu’il régnait une ambiguïté originelle: s’agissait-il de revenir à la normale de la fonction présidentielle, après un Sarkozy qui confondait les rôles de président et de Premier ministre et saturait l’espace public? Ou bien s’agissait-il de transformer en profondeur cette fonction, conçue par et pour un personnage « extra-ordinaire », de Gaulle, afin de l’acclimater aux temps moins héroïques et moins hiérarchiques qui sont les nôtres? Peut-être les deux à la fois, mais, après 2012, la nouvelle compréhension de la fonction présidentielle qui devait inspirer le comportement de Hollande n’a jamais été explicitée, théorisée, exposée.
S’en est suivie une impression constante d’oscillation, entre l’homme qui ne trouve pas même un parapluie pour se protéger (l’étonnant discours « rincé » sur l’île de Sein, le 25 août 2014) ou se laisse déborder par ses ministres (Montebourg, Taubira, Macron…) et des postures d’autorité mal orientées. Pourquoi Hollande a-t-il persisté si longtemps dans ses projets de déchéance de la nationalité et de constitutionnalisation de l’état d’urgence, deux réponses symboliquement catastrophiques au terrorisme? Pourquoi a-t-il fait passer en force une loi travail mal négociée, nourrissant un climat social délétère ?
Tous les torts ne sont pas de son côté, mais l’évolution ou la perversion du système politique français a fait que le président cristallise toutes les attentes… et toutes les déceptions. L’Etat, c’est lui. Même dans son discours de renonciation, Hollande a présenté son bilan en disant « j’ai fait ceci », « j’ai fait cela »… Mais n’est-ce pas en principe (constitutionnel) le gouvernement – dont le Premier ministre « dirige l’action » (art. 21) – qui « détermine et conduit la politique de la nation » (art. 20), et le Parlement qui « vote la loi » (art. 24)? Loin de la lettre de la Constitution, le « je » présidentiel s’arroge tout, mange tout – et récolte la tempête? L’excès de personnalisation de la Ve République entraîne un renversement de plus en plus fréquent de l’adulation infantile au bashing hystérique.
Alors, on peut certes songer à une VIe République. Mais peut-être faudrait-il d’abord revenir aux principes de la Ve, auxquels ce président ne s’est pas conformé – et son prédécesseur moins encore. L’échec de Hollande, après celui de Sarkozy, est aussi un échec d’un présidentialisme instable qui est moins le fruit de la Ve République que celui de son dévoiement.