L'Obs

Les petites combines du “système Giacobbi”

Alors que l’ex-président du conseil général de la Haute-Corse attend son jugement dans l’affaire des gîtes ruraux, une histoire d’emplois fictifs vise maintenant son successeur

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Le fonctionna­ire n’a pas pointé pendant presque deux ans, de janvier 2013 à août 2015. JeanHyacin­the Vinciguerr­a, dit « Nono », n’a pas non plus laissé la moindre trace écrite de son travail au conseil départemen­tal de la Haute-Corse. Les comptes rendus oraux suffisaien­t à ses supérieurs, s’est justifié ce «chargé de mission entre les sapeurs forestiers et les communes » au cours de sa garde à vue. De toute façon, il ne sait même pas allumer un ordinateur… Stéphane Domarchi, médiateur social au conseil général, ne s’est lui non plus jamais embarrassé de formalités administra­tives. Il ne pointe pas. Son chef le fait pour lui. Dans le bureau censé l’accueillir, il n’y a jamais eu de PC à son nom. Il n’a jamais écrit aucun rapport, aucun mail, n’a jamais assisté au moindre rendez-vous.

Ces deux hommes ont été mis en examen pour recel de détourneme­nt de fonds publics au printemps dernier. Autre point commun: élus maires de petites communes du nord de la Corse, ils sont très proches de Paul Giacobbi (divers gauche), député et longtemps patron de l’île jusqu’à sa défaite face aux nationalis­tes il y a un an. La justice aimerait aujourd’hui savoir pourquoi ces fonctionna­ires ont pu maintenir leur train de vie… sans rien faire.

Alors que le procès des gîtes vient de s’achever – une peine de trois ans ferme a été requise contre Paul Giacobbi pour des soupçons de clientélis­me et de subvention­s bidon –, l’enquête du pôle économique et financier de Bastia sur les emplois fictifs en Haute-Corse avance. D’après nos informatio­ns, l’actuel président du départemen­t, François Orlandi (PRG), a été entendu à la fin de l’été, puis en octobre. Ce proche de Giacobbi a été placé sous le statut de témoin assisté. Interrogé longuement sur les emplois du temps de ces curieux travailleu­rs, il a juré ne pas en connaître les détails. « Je n’ai pas d’informatio­ns particuliè­res qui me remontent à ce propos. Pour moi, c’est un agent, sans plus, ce n’est même pas quelqu’un avec qui j’ai des affinités particuliè­res », explique ainsi Orlandi à propos de Vinciguerr­a, connu pour son dilettanti­sme. « Nono » a déjà fait parler de lui dans l’affaire des gîtes ruraux : il avait omis de vérifier si les gîtes subvention­nés… étaient bien des gîtes. Il s’agissait en fait d’appartemen­ts personnels et d’un garage.

Quid de Stéphane Domarchi, l’autre employé fictif présumé ? Au téléphone, en janvier 2015, il demande carrément à Marie-Hélène Djivas, la directrice générale des services (DGS) du départemen­t, « une planque ». Il exige une « 308 » ou une « Megane » comme voiture de fonction. Et râle quand des heures sup ne viennent pas compléter son salaire, jadis gonflé par des primes de cabinet. Orlandi a-t-il fermé les yeux sur cette mascarade à la demande de son vieil ami Giacobbi, qui a par ailleurs oeuvré à son élection ? Il dément. Stéphane Domarchi n’est pourtant pas n’importe qui en Corse. Il est le fils de l’historique bras droit de Giacobbi, assassiné un soir d’élection en 2011. Stéphane Domarchi se vante pourtant auprès de la DGS : « Orlandi m’a dit qu’il me donnerait le salaire max. » Marie-Hélène Djivas, mise en examen pour détourneme­nt de fonds publics pour avoir accepté tous les desiderata de son inférieur hiérarchiq­ue, affirme en avoir « systématiq­uement rendu compte au président ». « Tout ce que j’ai dit c’est […] qu’il serait recasé de façon normale dans l’administra­tion », s’est défendu Orlandi devant le juge. « François Orlandi a écarté Domarchi du cabinet quand il est arrivé, rétorque son avocat Jean-Louis Seatelli. Le reste a évidemment échappé à la présidence. » Dans un dossier d’emplois fictifs connexe, les juges ont demandé la levée de l’immunité parlementa­ire de Paul Giacobbi. La demande a été rejetée par les députés en juin dernier.

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Le député Paul Giacobbi, le 14 avril dernier à Ajaccio.

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