L'Obs

Le mandarin à l’assaut de l’Afrique

En dix ans, Pékin a essaimé une quarantain­e d’Instituts Confucius sur le continent, pour y enseigner le chinois. A Lomé, Accra ou Cotonou, l’institutio­n phare de sa diplomatie culturelle ne cesse d’attirer des élèves

- De notre envoyée spéciale ISABELLE MAYAULT

Chemises à carreaux, sourires XL et énergie juvénile teintée de provocatio­n, ils se bousculent à la sortie des cours de la fac de Lomé dans un brouhaha où se mêlent des mots togolais et français : « Moi, je n’irai jamais en France. En France, il y a le racisme. Alors qu’apprendre le chinois, ça permet d’aller étudier en Chine, et la Chine, c’est elle qui gagne tout en ce moment. » Ils sont togolais, ils ont 20 ou 22 ans, et sont tous parfaiteme­nt francophon­es. Mais ils sont plus de 1000 élèves à suivre deux heures de cours de mandarin chaque jour à l’Institut Confucius de Lomé. Huang Ping, leur professeur­e, les rejoint sur le seuil. « Le plus souvent, ils veulent devenir interprète­s, mais parfois c’est simplement parce qu’ils aiment bien la langue », affirme la jeune femme, dont c’est la première expérience sur le continent, et qui préfère s’exprimer en anglais plutôt que dans son français balbutiant. On retrouve le même engouement pour le mandarin dans les pays voisins, le

long du golfe de Guinée. Au Bénin francophon­e, à l’est, on compte quelques milliers d’inscrits. Au Ghana anglophone, à l’ouest, ce sont 2 000 élèves qui apprennent la langue depuis l’ouverture de l’Institut Confucius à l’université d’Accra, il y a deux ans.

C’est à Nairobi, en décembre 2005, que le premier Institut Confucius a ouvert sur le continent africain. Dix ans plus tard, on en compte une quarantain­e en Afrique sur plus de 300 dans le monde. Sur les campus, l’institutio­n phare de la diplomatie culturelle chinoise est en quête de locaux toujours plus grands, preuve de son succès. A Lomé, l’Institut a récemment déménagé dans un immeuble spécialeme­nt construit pour lui. Son allée pavée et ses deux étages tranchent avec les routes de terre défoncées et la végétation galopante du reste du site. A Accra, la salle de classe moderne, les tables vernies et la climatisat­ion tempérée, en harmonie avec le campus aux pelouses immaculées situé sur les hauteurs de la ville, montre que là non plus on n’a pas lésiné sur les moyens. Au tableau sont projetées des scènes de la vie quotidienn­e, identifiée­s par les concepteur­s du programme comme représenta­tives des préoccupat­ions de leurs étudiants africains. Sur l’écran se succèdent l’image d’un accident de voiture puis celle d’un nourrisson menacé par un moustique transmette­ur de paludisme. « Au début, mes parents ne comprenaie­nt pas, ils voulaient que j’apprenne le français », confie Mavis, 21 ans, qui espère devenir interprète à l’ONU. Comme lui, la majorité des étudiants sont des pionniers dans leurs familles. « Nous savons que la Chine monte, monte, monte, témoigne Steven, 20 ans. C’est un pays qui a beaucoup d’opportunit­és à offrir. » Lui aussi a eu du mal à convaincre ses parents, mais il est déterminé à faire du commerce en Chine, et à pouvoir interagir « avec eux ». Akorfa, au contraire, a été encouragée par les histoires entendues dans le cercle familial : « Mon oncle, qui est universita­ire, va régulièrem­ent en Chine pour son travail. Il paraît que les Chinois sont des gens très assidus et polis. » L’année prochaine, la jeune fille doit y faire un échange d’un an. De toute évidence, le modèle chinois fait rêver la jeune génération ouest-africaine. « A nous, Africains, ce modèle parle beaucoup plus que les autres, confirme le diplomate béninois Héribert Adjovi, chef de la communicat­ion au ministère des Affaires étrangères de Cotonou. Pour avoir participé à plusieurs rencontres internatio­nales en Chine, je peux vous assurer qu’il ne nous est pas possible de rester indifféren­ts à cet exemple de surpasseme­nt de soi pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté. »

ROUTES, HÔPITAUX ET BARRAGES HYDROÉLECT­RIQUES

L’offensive linguistiq­ue des Chinois ne fait cependant pas que des heureux. Pour le mensuel « New African Magazine », situé à Londres, le développem­ent des Instituts Confucius accentuera­it la « marginalis­ation des langues africaines ». Et le syndicat des enseignant­s sud-africains, Sadtu, dénonce « une nouvelle forme de colonisati­on » avec l’enseigneme­nt du mandarin. Mais ces voix ne pèsent pas bien lourd face au rouleau compresseu­r chinois.

Si les Instituts Confucius représente­nt un développem­ent relativeme­nt récent de la diplomatie culturelle chinoise en Afrique, ce soft power n’a en soi rien de nouveau. Dès les années 1950, à l’époque où les Etats-Unis envoyaient leurs plus grands musiciens de jazz – Louis Armstrong, Dizzy Gillespie – faire la promotion en Afrique d’un certain art de vivre à l’américaine, la Chine, elle, construisa­it des stades. En 2010, elle en avait déjà offert une cinquantai­ne à ses nouveaux « amis africains ». Des amis riches en pétrole, mais pas uniquement, puisque le Ghana, la Tanzanie, la Zambie ou encore le Malawi font partie des heureux bénéficiai­res. Au Ghana, la Chine a construit des routes, des hôpitaux et des barrages hydroélect­riques bien avant que l’on y découvre de modestes gisements d’or noir, il y a une dizaine d’années.

Dans les années 1990, elle a aussi fait cadeau du Théâtre national du Ghana, dont l’architectu­re « nid d’oiseau » qui domine aujourd’hui le centre-ville d’Accra n’est pas sans rappeler le Stade national de Pékin inauguré pour les JO de 2008. L’ouverture du Centre culturel chinois, avenue JeanPaul-II à Cotonou, remonte elle aussi aux années 1990.

Pourtant, l’Occident persiste à avoir une vision réductrice de la présence chinoise en Afrique. « Il y a un malentendu, dans les pays occidentau­x, selon lequel l’intérêt principal de la Chine en Afrique concernera­it l’accès au pétrole, résume David Shinn, ancien ambassadeu­r des EtatsUnis au Burkina Faso et en Ethiopie, et professeur à l’université de Georgetown. Le pétrole est certes important dans leur relation, mais la Chine n’obtient que 22% de la part exportée hors de l’Afrique. Pékin y a beaucoup d’autres intérêts, tels que s’assurer du soutien politique de certains pays africains et protéger ses ressortiss­ants sur le continent. »

STRATÉGIE DE SUPERPUISS­ANCE

L’ascension culturelle de la Chine en Afrique ne s’est cependant pas faite sans quelques couacs. Comme ce défilé de majorettes, à l’occasion des 50 ans de l’indépendan­ce du Bénin, qui avait provoqué la colère du microcosme culturel de Cotonou, car il faisait « trop chinois ». Mais là où Pékin gagne du terrain, c’est quand il met en avant un Occident moralisate­ur, lent et bureaucrat­ique, face à une coopératio­n chinoise qui serait plus adaptée aux réalités africaines. « Lorsque je veux construire une autoroute, il me faut cinq ans de discussion avec la Banque mondiale, déclarait Abdoulaye Wade, alors président du Sénégal, au sommet UE-Chine en 2007. Avec la Chine, c’est réglé en quelques jours : je dis oui ou non, et je signe. » Les occasionne­lles manifestat­ions anti-Chinois dans certaines zones minières, comme récemment au Niger ou en Zambie, ont certes écorné l’image de la Chine sur le continent, mais elles ne su sent pas à contrebala­ncer les gains électoraux engrangés par les hommes politiques locaux grâce aux projets de développem­ent réalisés sous leur mandat avec l’aide de Pékin. « Nous sommes dans un village planétaire où la diversific­ation des partenaire­s garantit un meilleur positionne­ment sur la scène internatio­nale, défend pour sa part Héribert Adjovi. En fin de compte, il revient à l’Afrique de penser son développem­ent et d’envisager ses partenaria­ts au regard de ses ambitions. »

De quel oeil Paris considère-t-il donc l’empire du Milieu qui concurrenc­e sous son nez son réseau de 124 alliances françaises, lequel voit passer chaque année 71 000 étudiants africains ? Manifestem­ent, l’arrivée des Chinois sur ce terrain n’enthousias­me pas le ministère des A aires étrangères… qui a refusé de nous répondre. A Accra, c’est pourtant à l’intérieur même de la Maison française que se trouvent l’administra­tion et les salles de classe de l’Institut Confucius. Tout un symbole ! Dans le bureau des professeur­s, deux Ghanéens échangent dans un mandarin fluide avec deux Chinois. Tous les quatre ont la vingtaine et enseignent. Au mur, une grande carte colorée de la Chine côtoie une annonce pour un tournoi de bridge chinois. Ce jour-là se tient une réunion de tous les professeur­s de mandarin du Ghana. La mParjéosre­nitcée d’entre eux sont de jeunes Ch d in esoIins, st fit ruatîsche ment diplômés, venus pour la première fois en Afrique dans le cadre du programme Teaching Chinese as a Foreign Language (TCFL) – l’équivalent du FLE français. Mais quelques-uns des professeur­s appartienn­ent à cette nouvelle génération d’Africains sinologues, capables d’enseigner le mandarin. Après des études de sociologie et de Legséé oc hg arnagp es hie,e tune annéed’ é change en Chine qu’ ilcaom«maed roc iraéuex»,Syd ne y, ghanéen, donne depuis trenotirse el’Asfricqoue­urs de chinois à des petits de matseornnt­eesltliem.éLseanr2é0­u15nàion est suivie d’un déjeuner. Au menu : riz cantonais, nems et thé au jasmin. « Il a d’abord fallu se faire connaître, explique le docteur Mei Meilian, directrice de l’Institut Confucius d’Accra. Pour faire passer le mot, la première chose que j’ai faite a été d’organiser un tournoi de bridge chinois. Comme le gagnant recevait un billet d’avion pour la Chine, l’opération a eu beaucoup de succès. Après ça, tout le monde nous connaissai­t. » Ses objectifs sont clairs : elle espère doubler le nombre d’étudiants d’ici à deux ou trois ans. L’université propose aussi des leçons de calligraph­ie. A Cotonou, ce sont des cours de découpage de guirlandes en papier qui sont o erts. Et dans tous les Instituts Confucius du monde, on célèbre chaque année avec faste le Nouvel An chinois. L’apprentiss­age du mandarin sur le continent s’accompagne en outre d’un vaste pro g ra mm eu lecsaolt ai fr mic ai in sen place en Chine pour produire une génération d’universita­ires chinois capables de maîtriser l’ensemble des langues et des cultures africaines.

C’est le « rêve chinois » du président Xi Jinping, tel qu’énoncé lors du sommet Afrique-Asie de Jakarta en avril 2015. Il y promettait d’inviter 100000 coopérants a fric ainPlsused ne Chine dans les cinq prochaines années et, d’ici à 2018, de distribuer 18 000 bourses supplément­aires pour les étudiants du continent. Mais aussi de lever les droits de douane sur 97% des produits venant d’Afrique et de s’impliquer plus dans les opérations de maintien de la paix, avec 100 millions de dollars attribués à une force de réaction rapide de l’Union africaine. La Chine a aussi investi 121 millions de dollars pour la lutte contre le virus Ebola en 2014. Derrière le succès des Instituts Confucius, c’est une stratégie de superpuiss­ance qui se met en place, une Chine qui se veut désormais omniprésen­te sur tous les fronts. Et la méthode porte déjà ses fruits : quand un cadre chinois de la China Nuclear Engineerin­g a été kidnappé en 2007 au Niger, c’est à un influent commerçant local ayant étudié en Chine que Pékin a fait appel pour négocier.

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1. Cours de calligraph­ie à l’université d’Accra. 2. Mei Meilian, directrice de l’Institut Confucius local. 3. Pendant les festivités organisées pour le Nouvel An chinois. 3
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L’Institut Confucius d’Accra a ouvert il y a deux ans. Deux mille élèves y suivent des cours.

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