Princess Kristen
A 26 ans, Kristen Stewart, l’ex-Bella Swan de “TWILIGHT” et idole des adolescents, est devenue, grâce notamment à deux films d’Olivier ASSAYAS, la nouvelle ÉGÉRIE du cinéma d’auteur. Rencontre
C’est l’histoire d’une très jeune femme qui aimerait être invisible et ne souhaite rien tant qu’être vue. L’histoire de Maureen, l’héroïne de « Personal Shopper », assistante personnelle d’une vedette de la mode, chargée notamment de sa garde-robe ? Oui, mais aussi celle de Kristen Stewart, telle du moins que l’actrice se présente elle-même. Les lunettes noires qu’elle porte sur la tête témoignent peut-être de ce déchirement intime: elles sont disposées pour retenir des cheveux coupés court et prêtes aussi à camoufler, jusque dans la suite d’un palace parisien. Venue pour deux jours seulement et pour une séance photo Chanel, elle a accepté de consacrer un peu de son temps à parler du film d’Olivier Assayas. C’est ainsi désormais, les stars sont d’abord des égéries, et il arrive de plus en plus que le cinéma doive se glisser entre les parenthèses que consentent à ouvrir pour lui les grandes marques de cosmétiques ou de couture.
A 26ans, elle sait depuis longtemps ce qu’il en est d’être regardée, elle qui a débuté à 8 ans devant les caméras. Depuis que le rôle de Bella Swan dans « Twilight » a fait d’elle l’idole de toute une génération d’adolescents, elle n’ignore rien de ce que signifie être observée, guettée, photographiée, voir son image circuler sans fin, ses plus infimes changements de look commentés, ses amours disséquées. Kristen Stewart est une star de son temps, avec tout ce que le statut implique, avec aussi cette forme de névrose qu’il peut susciter. « J’ai l’impression de ne rien pouvoir ressentir au plus profond de moi sans devoir l’exprimer d’une manière ou d’une autre. Comme si le sentiment n’existait pas tant que je ne l’ai pas exprimé. Il est vrai que c’est sans doute à cela que sert le cinéma, je ne sais pas… Et il n’est pas moins vrai que nous croyons contrôler tout cela, alors qu’en fait… Maureen souhaite être seule et, d’un même élan, redoute terriblement d’être seule. C’est le côté le plus noir de sa personnalité. Et tout le monde est comme elle. Il ne m’est pas nécessaire d’y penser longtemps pour savoir que je suis salement seule. » Elle a laissé tomber son « fucking alone » avec un petit sourire un peu triste, à peine démenti par l’éclat de son regard. Pense-t-elle, comme Maureen, contrôler tout cela ? « Disposer de tous les instruments de communication nécessaires vous donne l’impression que vous maîtrisez tout, mais en réalité vous ne contrôlez rien. C’est cette obsession de communiquer sans cesse qui nous isole, nous expédie dans des mondes éloignés. » Parfois même dans l’outre-monde : Maureen est persuadée que son frère jumeau, dont elle ne parvient pas à surmonter la disparition, entre en relation avec elle depuis l’au-delà. Ainsi, par la grâce du film d’Olivier Assayas, la Bella de « Twilight », amoureuse d’un vampire, se confronte-t-elle aux fantômes, à croire que les créatures fantasmatiques la cernent, quand elle ne choisit pas d’elle-même de partir à leur rencontre.
“J’ÉTAIS COMME SOULEVÉE DE MON SIÈGE”
Une scène de « Personal Shopper » témoigne de ce sentiment de solitude qui s’attache à elle. C’est lorsque Maureen, lors d’un trajet en Eurostar, « textote » frénétiquement pendant de longues minutes. La scène est aussi celle qui excitait le plus la jeune actrice, celle que dans le film elle aime le mieux. « Je n’avais jamais rien lu de tel dans un scénario. Pour une actrice, c’est un moment extraordinaire : elle doit jouer seule, et chaque message que reçoit Maureen peut provoquer en elle une cinquantaine de réactions différentes, souvent opposées. Je me demandais comment j’allais jouer ça, mais j’étais comme soulevée de mon siège, j’avais l’impression de m’entretenir directement avec Maureen. J’étais moins une actrice qu’un être humain comme n’importe quel autre. C’était extraordinaire et, pourtant, c’est ce à quoi les gens consacrent le plus clair de leur temps aujourd’hui. Nous sommes complètement coupés du monde et nous créons une réalité différente, qui nous semble merveilleuse. Mais cela nous dévore… » Pour cette scène où Maureen est seule face à l’écran de son smartphone, seule sur l’écran du cinéma, quelles indications Olivier Assayas lui a-t-il livrées ? « Olivier ne donne pas d’indications, il vous place sur un chemin et, par la suite, ne répond pas aux questions que vous lui posez. Du moins, il ne répond pas aux miennes… Il possède un talent insensé pour éclairer et rendre visibles des zones dont la plupart d’entre nous ignorons jusqu’à l’existence. »
Ils se sont rencontrés sur « Sils Maria », où Kristen Stewart interprétait le rôle de l’assistante personnelle d’une actrice célèbre, que jouait Juliette Binoche. Un personnage assez proche de celui de Maureen, qui lui a valu le césar 2015 de la meilleure actrice dans un second rôle. A la veille de la présentation de « Personal Shopper » en compétition, le cinéaste l’avait prévenue qu’« à Cannes, tout peut se passer ». Et ce « tout » prit la forme d’un accueil assez frais, dont elle se consola en faisant remarquer que « tout le monde n’a[vait] pas sifflé le film ». Ce qui est vrai. Il n’empêche que sa double collaboration avec Assayas a précipité l’idole des adolescents dans le monde du cinéma d’auteur, ce qui a pu surprendre. Mais, pour elle, le mouvement est très naturel. « Le cinéma que je préfère est le cinéma américain indépendant des années 1970, je vais vers ces films-là dès que je le peux. » Si elle ne remonte pas plus loin dans le temps, du moins dans l’histoire du cinéma, c’est qu’à son âge tout paraît vite vieux et daté, et si elle se sent si concernée par le cinéma d’auteur, c’est qu’elle n’a pas oublié que la première fois qu’elle s’est sentie actrice, vraiment, c’était sur « Speak », un « petit » film de Jessica Sharzer de 2004, dans lequel elle incarnait une gamine qui se refermait entièrement sur elle-même après avoir été victime d’un viol. « J’avais 13 ans, et avant cela je n’avais jamais connu le plaisir de jouer devant une caméra. C’est là que j’ai découvert qu’une actrice avait le pouvoir de faire passer des sentiments, des sensations, des impressions. Pour la première fois, je me suis sentie importante, c’était de l’ordre de la révélation. » Le plaisir du jeu se rencontre sur le plateau lorsque « vous sentez que tout fonctionne sans que vous pensiez y être pour quelque chose ». Quand, d’une certaine manière, elle perd le contrôle d’elle-même, elle qui depuis des années soigne une forme d’hyperactivité ? « Oui, c’est précisément cela. »
“J’AI BESOIN DE ROMPRE LES AMARRES”
C’est ce vertige, cette impression de ne plus s’appartenir vraiment que recherche Kristen Stewart, qui affirme ne pas être « une comédienne très experte », mais avoir besoin « de [s]e lâcher, de rompre les amarres ». Pour que cela lui soit possible, elle doit avoir en son réalisateur une confiance aveugle, et elle convient que le cas ne s’est pas présenté si souvent. Avec Olivier Assayas, assurément. Avec Woody Allen également (« Café Society »), même si c’est de manière différente.
« Pas plus qu’Olivier il ne répond aux questions, mais je reconnais que je ne lui en ai pas posé beaucoup : c’est exclusivement à travers son scénario qu’il parle aux acteurs, il n’a rien à ajouter. S’il vous a choisie, c’est qu’il a envie de vous voir jouer, voilà tout. » Plus récemment, elle a vécu avec Ang Lee une expérience qu’elle qualifie d’unique. Avec lui, elle vient de tourner « Un jour dans la vie de Billy Lynn », histoire d’un jeune Texan envoyé à deux reprises combattre en Irak. « Mon personnage dans le film exprime la certitude que nous n’avons aucune raison d’être fiers de ce que nous avons fait là-bas. Surtout, le film a été conçu dans des conditions entièrement nouvelles, et même révolutionnaires : il y avait des caméras partout, qui captaient jusqu’à 120 images par seconde [contre 24 couramment], saisissant tout ce que d’ordinaire le cinéma ne montre pas. Ang Lee a fait preuve d’une précision et d’une exigence inouïes, demandant parfois plus de trente prises, s’obstinant jusqu’à ce qu’il soit satisfait. Il arrivait que trois prises lui suffisent, mais, quoi qu’il en soit, les acteurs n’avaient d’autre attitude à prendre que se laisser faire, dégringoler la pente sans chercher à se retenir aux branches, d’ailleurs il n’y avait pas de branches. Je n’avais que quelques jours de tournage, mais c’était passionnant, presque comme si je n’avais pas fait de films avant. »
“J’AIME LE COURT-MÉTRAGE”
Etre ou ne pas être sous contrôle, tout en elle semble tourner autour de ce dilemme. Et c’est lorsqu’elle évoque cette question qu’elle s’anime le plus, que s’estompe la froideur qui lui est reprochée parfois et qui s’apparente davantage à une forme de retenue, naturelle chez quelqu’un de si jeune et si accoutumé pourtant à n’être jamais libre vraiment de ses mouvements, de ses mots, de sa vie. Face à elle, face à ce concentré d’énergie sans cesse bridée, de jeunesse dont on ne peut imaginer qu’elle ne soit pas plus ou moins contrariée, face à ce précipité de contraintes, la question vient de savoir de quoi ses lendemains seront faits. Il n’est pas dit qu’elle-même se la pose, mais elle répond pourtant, sans que la demande ait été formulée : elle veut réaliser des films. Ce n’est pas pour elle un désir neuf, elle a commencé déjà. « J’ai réalisé deux clips vidéo et un court-métrage. J’aime le court-métrage, en particulier parce que c’est le format qui permet la liberté la plus grande. Comme les sommes en jeu sont relativement peu importantes, vous n’avez de comptes à rendre à personne et, d’une certaine manière, vous n’êtes pas attendu au tournant. » C’était dans le cadre d’une série à laquelle sont associées plusieurs autres actrices, comme Chloë Sevigny, mais Kristen Stewart ne fait pas mystère de ce qu’elle songe aussi au long-métrage. Il est trop tôt pour qu’elle dise de quoi il s’agira, peut-être l’ignoret-elle encore elle-même, mais enfin elle a commencé à écrire, un peu à temps perdu, mais tout de même. Et il en sera de la réalisation un peu comme il en est de son travail d’actrice. « Certains acteurs cherchent à avoir prise sur leur jeu, sur chaque mot de chacune de leurs répliques, et même sur ce qu’ils disent aux médias. Moi, je suis de nature plus impressionniste. Mais je sais que pour faire un film, il faut en connaître avec précision chaque détail, quitte à tout bouleverser ensuite, au moment du tournage, puis au montage. Sans ce travail préalable, il n’y a pas de liberté possible. » Elle l’a compris déjà. Et pour cela aussi, il ne lui a pas fallu longtemps.