L'Obs

CRITIQUES

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- Par JÉRÔME GARCIN

Il en parle comme d’une marque au fer rouge, infamante et ine açable. Elle brûle. Elle lui fait encore mal. Dans « Comédies », son livre de souvenirs coécrit avec la journalist­e Caroline Broué (Fayard, 20,90 euros), Marin Karmitz, l’empereur du cinéma, n’est pourtant pas avare d’images cauchemard­esques. Né en 1938 à Bucarest dans une famille de la bourgeoisi­e juive, il a connu, petit, l’antisémiti­sme des légionnair­es de la Garde de Fer, puis la dépossessi­on de leurs biens par les communiste­s, les bombardeme­nts, les privations, la panique et l’exil en France, par bateau, à la fin de l’année 1947. Mais le patron des cinémas MK2 aura attendu d’avoir 70 ans pour être traité de collabo, de traître, d’apostat, voire de méprisable opportunis­te. Son crime ? Avoir pactisé, lui l’ancien maoïste de la Gauche prolétarie­nne, le réalisateu­r de « Camarades », le producteur de Chabrol, Resnais et Kieslowski, avec… Nicolas Sarkozy. Autrement dit, avec le diable. En 2009, le président de la République lui proposa en e et de fonder et de diriger le Conseil de la Création artistique (CCA), qui devait courtcircu­iter le ministère de la Culture, jugé par Sarkozy trop obsolescen­t et pachydermi­que. Et Karmitz accepta. « Je ne l’ai fait ni pour l’argent ( je n’étais pas payé) ni pour la gloire ( je n’ai pris que des coups). La seule raison, c’est que j’ai vu l’Elysée comme le seul lieu de la démocratie française où on pouvait changer les choses. » Pendant deux ans, car l’aventure fut brève, le CCA, doté d’un budget de 10 millions d’euros, lança une quinzaine de projets, dont un Centre Pompidou mobile, un festival d’intellectu­els français à New York, et, inspiré d’une formidable expérience vénézuélie­nne, l’orchestre Démos (Dispositif d’Education musicale et orchestral­e à Vocation sociale), constitué d’enfants de quartiers défavorisé­s. Mais Marin Karmitz finit par abdiquer, jugeant qu’on ne peut lutter que de l’extérieur et que « vouloir infléchir les choses de l’intérieur est une illusion ». A quoi tiennent les destins… Voilà un homme qui a produit les plus grands réalisateu­rs du monde entier, qui a constitué à Paris l’un des plus beaux parcs de salles de cinéma, qui n’a jamais cessé de combattre les extrémisme­s, de défendre les artistes étrangers victimes du fascisme, qui tient que le judaïsme n’est pas une religion, mais une morale, et dont la vie passionnan­te est désormais réduite à cet épisode élyséen. Bien avant de perdre la primaire, Nicolas Sarkozy a donc fait perdre au marchand de rêves ses dernières chimères. J. G.

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