North le magnifique
MR. NORTH, PAR THORNTON WILDER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR ÉRIC CHÉDAILLE, BELFOND, 510 P., 18 EUROS.
On se souvient surtout de Thornton Wilder (1897-1975) comme d’un élégant dramaturge et l’un des scénaristes du film d’Alfred Hitchcock, « l’Ombre d’un doute » (photo). Mais rares sont les romans de cet ancien caporal de l’armée américaine qu’on peut trouver en librairies. Parmi d’autres pépites (d’Erskine Caldwell et Irmgard Keun), l’excellente collection Vintage des Editions Belfond propose le dernier roman de Thornton Wilder, « Mr. North », qui n’est pas sans rappeler le chefd’oeuvre de Scott Fitzgerald. Comme « Gatsby », le roman se déroule dans les années 1920, et raconte la fascination d’un jeune homme pour la société huppée du nord-est des Etats-Unis. Chez Wilder, c’est à Newport, dans le Rhode Island, qu’atterrit Theophilus North, un jeune intello aux multiples talents qui gagne sa vie en donnant des leçons de tennis et des cours de français. On se souvient que Thornton Wilder maîtrisait parfaitement notre langue, et qu’il avait obtenu, en 1926, une maîtrise de littérature française à Princeton, allant même jusqu’à enseigner le français dans une école du New Jersey. Bientôt, les services proposés par North aux autochtones dépassent largement les seuls domaines sportifs ou linguistiques. Il gagne la confiance des veuves de guerre (la première) et, tandis qu’il anime des séances de lecture, se voit consulté comme un docteur pour les troubles rénaux de ses auditeurs. Ce pauvre North serait, en somme, fort à plaindre s’il n’avait pris l’habitude de boire des schnaps bien frappés avec un baron autrichien. Wilder évoque avec bienveillance la superficialité des heureux du monde qui ne réalisent qu’un conflit mondial (le second) fait rage que lorsqu’il se termine. La guerre est finie, mais ce n’est pas la leur. Et quand North, étonné, découvre l’attroupement joyeux de la foule, c’est comme s’il se réveillait d’un rêve de luxe, de calme et de volupté: « Le matériel des pompiers de Newport allait et venait par les rues, toutes lances en batterie, dans une débauche de jets d’eau. Dans le petit jardin public […], de sporadiques renouveaux religieux et de scandaleuses orgies s’entre-contaminaient. »