L'Obs

Onze ans de malheur

Dans son nouveau livre, l’auteur de “Testament à l’anglaise” décrit une Angleterre au bord de la crise de nerfs NUMÉRO 11, PAR JONATHAN COE, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR JOSÉE KAMOUN, GALLIMARD, 443 P., 23 EUROS.

- DIDIER JACOB

Au début, on doit se pincer. Jonathan Coe se prend-il pour J. K. Rowling? Deux adolescent­es, Rachel et Alison, cherchent à tromper leur ennui dans la province anglaise. Une femme mystérieus­e, qu’elles surnomment la « Folle à l’oiseau » parce que Rachel l’a surprise avec un faucon sur l’épaule, se révèle une proie parfaite pour nos espionnes en herbe. N’est-ce pas un cadavre qu’elle dissimule dans le sous-sol de sa maison ? En quête d’émotions fortes, Alison et Rachel s’introduise­nt chez la sorcière, au 11, Needless Alley (le chi re 11 est la mascotte du livre). Inutile de préciser qu’elles n’y trouveront pas les horreurs qu’elles étaient venues chercher. Après un démarrage à la Harry Potter, où Coe ne montre pas la facette la plus originale de son talent, le grand satiriste retrouve sa veine acerbe. Les années ont passé. La mère d’Alison, une chanteuse qui connut une gloire éphémère avec un unique tube il y a vingt ans, accepte de participer à une émission de télé-réalité, façon « Koh-Lanta », dans un décor tropical et paradisiaq­ue. Sa fille n’est pas seulement la spectatric­e atterrée du calvaire de Val, obligée d’avaler des scarabées vivants ou de traverser des galeries souterrain­es peuplées d’araignées géantes et d’autres insectes répugnants. Elle découvre que les spectateur­s de l’émission ont pris sa mère en grippe, et qu’un flot d’injures à son endroit inonde la twittosphè­re : « T’es moche, je te dis même pas. Bâillement, elle m’ennuie déjà. T’as une gueule à gerber. T’es vieille. Bouh la sorcière. Conne de chez conne. » Bref, voici Val Doubleday habillée pour l’hiver. Avec une douce méchanceté, Jonathan Coe règle une nouvelle fois ses comptes avec l’Angleterre des tabloïds, des classes moyennes et des riches milliardai­res, qui n’hésitent pas à faire creuser, sous leurs maisons londonienn­es, d’innombrabl­es sous-sols pour accroître la valeur de leurs biens. Pendant que les sujets de Sa Majesté nagent dans de luxueuses piscines au niveau moins dix de leur habitation, des émigrées roumaines, en surface, promènent les chiens des superriche­s. Une fable écrite par l’un des meilleurs spécialist­es de la folie du temps présent.

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