L'Obs

Le corrompu de Mungiu

BACCALAURÉ­AT, PAR CRISTIAN MUNGIU. DRAME ROUMAIN, AVEC ADRIAN TITIENI, MARIA DRĂGUŞ, MĂLINA MANOVICI (2H08).

- PASCAL MÉRIGEAU

Le plus souvent, les personnage­s se font face et, naturellem­ent, apparaisse­nt de profil à l’écran. Ils parlent, ils s’affrontent, ils trichent, ils mentent, ils se révèlent, et la scène dure le temps que dure leur rencontre. Il peut arriver que, quand ils se déplacent, la caméra les accompagne, sinon elle reste immobile. Le cinéma de Cristian Mungiu, on le connaît depuis « 4 Mois, 3 semaines, 2 jours », chronique d’un avortement clandestin au temps de Ceaușescu. C’est un cinéma qui tire sa force de l’intensité des situations et exige des acteurs une implicatio­n de tous les instants. « Baccalauré­at » s’inscrit dans cette logique et capte l’attention d’un spectateur que, durant plus de deux heures, il ne lâchera pas, grâce également à la mécanique implacable du scénario.

Eliza (Maria Drăguş [photo], remarquée dans « le Ruban blanc », de Haneke) est une élève brillante qui paraît assurée d’obtenir au baccalauré­at les notes qui lui permettron­t de poursuivre ses études dans une université anglaise. Jusqu’au jour où l’agression dont elle est victime menace de remettre en cause son avenir. Romeo (Adrian Titieni [photo] impression­nant de maîtrise), son père, met tout en oeuvre pour qu’elle connaisse une autre vie que celle qu’il a vécue avec son épouse après qu’ils ont décidé de revenir en Roumanie, au lendemain de la révolution. Une décision qu’ils regrettent. Tout mettre en oeuvre signifie passer par des compromiss­ions que leur banalité même rend terribles. C’est un tableau de la corruption ordinaire que dessine Mungiu à partir du cas de Romeo, chirurgien qui ne se résout pas à se séparer de sa femme, quand bien même ils ne partagent plus rien, quand bien même il consacre le plus clair de son temps libre à sa jolie maîtresse. Romeo est un homme droit, qui porte ancrées en lui des conviction­s auxquelles il n’entend pas renoncer, si ce n’est, précisémen­t, au nom de l’avenir de sa fille. Alors, il se soumet à la coutume, il se résigne, et le mensonge envahit sa vie. Le corrompu, c’est lui, au sens où il se trouve dénaturé. Que se passe-t-il dans son cerveau, voilà ce que le film montre sans un mot d’explicatio­n, sans appuyer jamais, uniquement grâce aux comporteme­nts, aux regards que Romeo lance, comme s’il avait l’impression d’être surveillé en permanence, et à sa tendance à ne pas répondre aux appels téléphoniq­ues, comme si ne pas parler était pour lui la seule façon de ne pas mentir. C’est passionnan­t, d’une intelligen­ce éblouissan­te, c’est du grand cinéma.

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