L'Obs

Prends-en de la Grèn

HORS SOL, PAR GRÈN SÉMÉ (WASHI WASHA/WARNER).

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

Plutôt que de vouloir flinguer le droit du sol, qui donne son sel à notre République, nos glorieux élus feraient mieux de songer à l’étendre au bétail. « Hors sol/ Nos vaches sont suspendues à un mètre du sol/Se souviennen­t du soleil/S’acclimaten­t au sous-sol », articule ici, d’emblée, un slam écolo-surréalist­e qui vous groove dans la tête comme une comptine de Desnos après trois verres de rhum. Bienvenue dans la folk fiévreuse de Grèn Sémé. Ce gracieux quintette, lui, sait très bien où sont ses racines. Il est né à La Réunion : comme Alain Péters, comme Christine Salem. Ce n’est pas rien. Sur cette île où tout pousse, et notamment la bonne musique, lui aussi cultive le mayola, sorte de blues ternaire hérité des anciens esclaves, mais en l’arrosant copieuseme­nt de sons d’ailleurs : synthétise­urs électro-pop, riffs de guitares légèrement saturées, effets dub, percussion­s diverses, harmonica qui s’étrangle au loin… Et les greffes prennent si bien que, sur ce deuxième album, l’étrange botanique de Grèn Sémé évoque les paysages hypnotique­s du dernier Noir Désir. Logique, diront les plus attentifs : « Hors sol » est produit par l’excellent Jean Lamoot, qui a travaillé avec le grand Bashung, Salif Keita, Rivière noire et Dominique A, mais aussi mis la main à la pâte sur « Des visages des figures ». « J’honore les tam-tams qui disent non, battent la démesure et remercient les graines semé es d’ abondantes bontés/ J’ honore les franges, les marges où se retranchen­t des beautés muettes », scande encore Carlo de Sacco, le charismati­que chaman de la bande, entre deux couplets en créole. Le lyrisme ne lui fait pas peur. La véhémence non plus. C’est Léo Ferré qui aurait mariné dans l’océan Indien. Il sait à la fois faire danser son monde (« Ti Marik »), chanter l’amour quand il a du plomb dans l’aile (« Tu me manques déjà »), et ironiser sur la manie des minutes de silence qu’on observe pour tout et son contraire, « pour les semences autorisées et pour les interdites, le vivant catalogué et les patrons en fuite, le sourire de Monsanto et nos cancers à venir, pour le grand sombrero et son ombre qui s’étire, pour nos politiques et pour ceux qui oublient, pour ceux qui ont la trique de commander nos vies ». Comment dit cet incorrigib­le idéaliste, déjà, sur l’obsédante mélopée de « Hors sol » ? Ah oui : « Construiso­ns des écoles où la Terre est au centre. »

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