Les anges passent…
La marque américaine de lingerie sexy Victoria’s Secret a donné un show ambitieux au Grand-Palais. Au programme, strings et plumes flashy portés par les bombes les plus “bankable” de la planète. Un usage de l’“entertainement” qui a du mal à prendre dans u
La date de la bataille de Paris avait été fixée au mercredi 30 novembre. Un combat rude, mûrement préparé pour la conquête d’un marché réputé difficile. Aucun détail, évidemment, n’avait été laissé au hasard. Gigi et Bella, les deux soeurs Hadid, Kendall Jenner, Adriana Lima, Lily Aldridge, Alessandra Ambrosio, Liu Wen, Jasmine Tookes, les Anges de Victoria’s Secret, amazones tout en jambes et en formes du leader américain de la lingerie sexy, né en 1977, distribué dans 75 pays avec plus de 1650 boutiques dans le monde, débarquaient dans la capitale de la mode, au Grand-Palais.
Victoria’s Secret : la marque dont les hommes retiennent le nom et qui, par la force de frappe du mass market international, attire un jour ou l’autre la femme qui craque pour la micro-culotte en dentelle flashy, symbole du sexy décomplexé, et qui, le temps d’une soirée, se vit en Gisele Bündchen, ange Victoria en 2010, la référence absolue. On promettait du lourd. Pas surprenant pour ces champions des messes festives version Super Bowl, au chiffre d’affaires dépassant les 7 milliards d’euros, capables d’investir jusqu’à 20 millions de dollars par show, quatre fois plus que pour un défilé de grande maison de luxe.
Le but, faire cracher du bon son et en mettre plein les yeux avant, disaient déjà les parieurs, l’inauguration prochaine du premier flagship de la capitale. A ce jour, c’est uniquement dans l’enceinte de l’aéroport d’Orly qu’on peut s’offrir à la volée, en bravant la file d’attente, le petit ensemble affriolant qui réchauffe les hivers, avec en tête l’idée qu’on sortira du magasin avec ce fameux sac cartonné rayé et rose, élevé au rang de it-bag.
Depuis le début de la semaine, les plus connectés, adolescents en tête, étaient scotchés en direct sur les réseaux sociaux. Pour l’occasion, la marque avait autorisé les bombes les plus bankable de la planète, nouvelles icônes suivies au jour le jour façon télé-réalité, à poster une ou deux photos sur leur compte Instagram à plusieurs millions d’abonnés : Kendall Jenner (69,4 millions) en soutien-gorge push-up et micro-culotte, baignée de la lumière de la verrière, Bella Hadid en répétition devant ses 8,1 millions d’abonnés ou encore la Brésilienne Adriana Lima, dans les coulisses, en mini-kimono satin rose bonbon.
Dès le 5 décembre, le défilé a été diffusé sur YouTube, CBS et la chaîne cablée du groupe Lagardère Elle Girl. Il fallait envoyer de l’image au monde entier, depuis le triangle d’or parisien, à dix minutes de la tour Eiffel. D’ordinaire, ces shows sont vus, tous canaux confondus (réseaux sociaux, internet, TV), par 800 millions de personnes à travers le monde.
Les clins d’oeil de mise en scène étaient en fait des coups géopolitiques et des jackpots chiffrés en gros sous, le tout emballé comme un cadeau pop à gros noeud : en ouverture, une tête de dragon façon Nouvel An chinois sur un ensemble en dentelle turquoise pour séduire l’empire du Milieu, des culottes hautes façon Lederhose (short à bretelles autrichien) esprit montagnes tyroliennes pour l’Europe de l’Est, du sportswear ultra-découpé pour les clientes plus jeunes et les fondues de bien-être; carnaval évidemment de rose bonbon sucré ou de dark manga avec toujours ce feu d’artifice de couleurs chaudes, de pompons, noeuds, lacets, ailes, fleurs, plumes et autres flammes.
Des elfes ultra-sexués aux lycéennes dévergondées, tous les rôles étaient habités. Tanga, corset, porte-jarretelles, tout l’attirail était mis en valeur sur des corps de rêve. Evidemment, passage du « Fantasy Bra » porté par Jasmine Tookes, ce bijou de soutien-gorge brodé de cristaux Swarovski, pièce estimée à 3 millions d’euros, les bijoux de la reine. Un clin d’oeil par-ci, un coup de hanche par-là, un baiser soufflé, comme celui remarqué de Bella Hadid à son ex, le chanteur The Weeknd, qui se produisait sur scène.
Tout était millimétré : le choix du lieu, d’abord. Le Grand-Palais, paré ce soir-là de lumière rose violine en façade, est le temple de Karl Lagerfeld et de la maison Chanel. Le maestro des grands shows parisiens
y avait recréé l’habitacle d’un avion en 2012 et a déjà transformé la nef en casino, supermarché ou jardin enchanté… Secteur quadrillé, la police partout, et des consignes de sécurité draconiennes : pièce d’identité exigée en échange du carton d’invitation, photos et films « formellement interdits », écrit en caractères gras. On ne rigole pas.
A l’intérieur, c’était selfies à gogo devant les lettres en néon XXL de la marque. Radioscopie du public, le ton était donné, too much souvent, classe rarement : du strass en veux-tu en voilà, des robes moulantes lamées, de la cuissarde lacée, de la minijupe en cuir, de la chevelure longue, brillante et juste ce qu’il faut d’ondulé.
Qui dit grand événement dit célébrités, perdues au milieu de ce public hallucinant, mi-boîte de nuit, mi-générale d’opéra au Palais Garnier il y a vingt-cinq ans. Au milieu, quelques VIP, égarés sous cette vaste nef, échangeaient quatre mots : Vincent Cassel, costard et chemise blanche impeccables, en profitant pour officialiser son union devant les objectifs des photographes (choix du lieu de bon goût!) avec le jeune top Tina Kunakey, Lenny Kravitz, Stromae, classe en costume noir, tout en chignon tressé, Jeanne Damas, couteau suisse blogueuse- créatrice-it-girl made in France et enfin, « Paris ne serait pas Paris » sans sa Parisienne, Inès de la Fressange qui seule avait osé le jean flair et la veste noire impeccable. Détail qui a tout son sens : aux toilettes, la file d’attente était beaucoup plus longue chez les messieurs. Dès l’accueil, une papesse de la mode avait expliqué haut et fort qu’elle était accompagnée de son jeune homme de fils. Les messieurs d’abord.
Le defilé devait « faire vrai ». Une poignée de grands créateurs en front row, perdus entre Pedro Winter, le roi du marketing de l’électro, Axelle Laffont, qu’on avait un peu oubliée, et, montant les marches, une créature cheveux rose fluo et manteau de fourrure bleu lagon. Sans oublier cette autre, tout en noir, qu’on aurait aimé ne pas suivre dans l’escalier de l’after show avec sa robe fendue sur tout l’arrière, les pieds boudinés dans des escarpins à hauts talons. Trois grands noms remarqués : Olivier Rousteing, directeur artistique de Balmain, l’ami de Kendall et de tout le clan Kardashian, Haider Ackermann, créateur fraîchement nommé directeur artistique de Berluti, et M. Azzedine Alaïa. La presse française dans son carré, les journaux américains dans le leur. Nickel. Une invitée, une seule, Américaine au physique à la Victoria Beckham, avait relevé le défi de la soirée, se faire remarquer en choisissant une robe crème à grosses rayures noires, avec un foulard rouge noué autour du cou, façon corrida. Et le rouge attirant l’oeil, on ne voyait qu’elle. La seule à se lever en agitant les bras pour faire la fête comme outre-Atlantique.
Le spectacle pouvait commencer. Avec un décompte des minutes comme au Cirque d’hiver, et une voix préenregistrée, distribuant ses incantations : « Amusez-vous », « Levez-vous ». Le bon gros show à l’américaine avec des guests qui envoient, Lady Gaga, transformiste en Perfecto blanc sur compensés, Bruno Mars sautant de la fourrure au costard.
Sauf que, dans la salle, l’ambiance parisienne n’était pas celle de Vegas, de New York ou de Los Angeles. Les curieux de cette assistance assez statique comprenaient pour la plupart qu’ils étaient de faux spectateurs d’un grand show télé qu’il valait mieux voir à l’écran pour profiter des physiques dingues de ces Barbie de tous les pays. A l’after show, un l’avait compris mieux que personne : Vincent Cassel, affalé dans un canapé avec sa belle dans ce petit carré VIP, avait l’oeil baladeur sur le grand écran installé juste à sa gauche.