MANUEL VALLS
Dans ses nouveaux habits de candidat à la primaire, l’ancien Premier ministre sait qu’il va devoir donner des gages pour espérer rassembler la gauche. En exclusivité pour notre journal, il se confie sur ses ambitions, sa méthode et les grandes lignes de s
Il a aimé cette maison, il en connaît tous les recoins. Il y est entré très jeune, conseiller obscur sous Michel Rocard, puis « petit marquis » chargé de la communication sous Lionel Jospin, avant d’y revenir par la grande porte en avril 2014. Mardi matin, Manuel Valls s’est résolu à quitter l’hôtel Matignon pour franchir une nouvelle étape de sa vie. Un choix mûrement réfléchi. « J’ai besoin d’être totalement libre pour me consacrer à la primaire, et, si je la remporte, pour me projeter vers la présidentielle. Etre Premier ministre, c’est une tâche qui vous occupe tous les jours, à tous les instants. J’ai le sens de l’Etat. La France a besoin d’un Premier ministre à temps plein », confie-t-il. Valls, qui connaît par coeur le rythme effréné des campagnes électorales, mesure le parcours d’obstacles qui se dresse devant lui. « L’exercice que j’ai à faire, c’est de m’adresser aux Français, explique-t-il. Mais, à travers la primaire, je dois commencer par m’adresser à la gauche. » A Evry, sa ville, il a donc choisi de dévoiler son ambition en plaçant sa candidature sous le signe « de la conciliation, de la réconciliation ».Vaste programme…
Manuel le diviseur peut-il se muer en Valls le rassembleur? Et ce, en six petites semaines de temps? C’est la question du moment, l’équation qu’il doit impérativement résoudre pour espérer l’emporter. Celle qui l’oblige –ironie du sort– à faire soudainement du Hollande, à ressembler à ce président qui lui avait pourtant demandé de « faire du Valls ». L’ancien provocateur en chef du PS sait bien qu’il va devoir donner des gages, tendre la main à ceux qui sont partis, à ceux qu’il a affrontés, à ceux qu’il a tant aimé détester. Lui qui jugeait, il y a quelques mois seulement, qu’il existait deux gauches irréconciliables assure aujourd’hui l’inverse et se pose en cheville ouvrière de l’unité et du rassemblement. « J’avais prononcé cette phrase en réaction à une sortie de JeanLuc Mélenchon, qui affirmait que Hollande était pire que Sarkozy », se souvient-il. Magie d’une campagne, magie d’une candidature? « Je n’exclus personne, jure-t-il désormais. Ni Macron, ni Mélenchon, ni tous ceux qui ont gouverné avec nous par le passé, ni évidemment aucun socialiste. » L’heure n’est plus au clivage, à l’affrontement. Valls sait que la gauche n’aura aucune chance si elle se présente divisée à l’élection. « J’en appelle au sursaut, s’enflamme-t-il. Il y a une exigence de rassemblement, une envie de se retrouver, c’est ce que permet la décision du président. » Il ajoute sous forme de mea culpa: « Moi-même dans ma volonté de faire évoluer ma famille, j’ai pu avoir des mots durs. J’ai pu susciter des incompréhensions. Il faut dépasser tout cela. » L’ardoise magique suffira-t-elle à solder le passé, effacer les blessures ? Il veut le croire. Il a besoin de le croire. « Ma candidature n’est pas celle des règlements de comptes, insiste-t-il.Je serai ouvert. Je n’ai pas à blesser, ni à diviser, ni à mettre en cause. Je ne prépare pas un congrès. J’ai une responsabilité: rassembler. Je suis attendu. Chez moi, il n’y a ni blast, ni volonté d’écraser. »
Ses adversaires, qui n’en croient pas un mot, l’attendent évidemment au tournant. Ils aiguisent leurs couteaux. Ils tapent déjà sur « celui qui a disloqué la gauche», comme le surnomme Arnaud Montebourg, qui complota pourtant pour le propulser à Matignon après l’éviction de Jean-Marc Ayrault… Un hollandais de toujours met en garde: « Je souhaite bien du plaisir à Manuel. Il sous-estime le ressenti des hollandais. Il surestime ses capacités de rassemblement, il a divisé la gauche. » Valls va donc devoir démontrer, preuves à l’appui, que, pour lui aussi, le changement c’est maintenant… « A-t-il assez d’énergie et de force pour montrer qu’il y avait le Valls capable d’aider Hollande et donc d’assumer la politique menée, de l’incarner, et qu’il y en a un autre, à même de défendre sa vision différente de l’Europe, de la mondialisation, de montrer qu’il a ses propres idées, de se souvenir qu’il défendait le non au référendum européen en 2005, avant de se ranger à l’avis de la majorité du PS ? s’interroge un poids lourd de la majorité. Je crois que oui. Et puis, il en a tellement envie depuis tellement longtemps… »
« Il n’y a pas de duplicité chez lui, le défend Laurence Rossignol, ancienne de la gauche du PS et ministre de la Famille de son gouvernement. Il ne s’est pas comporté en Premier ministre qui construit sa candidature depuis deux ans. Il a joué le rôle de bouclier pour le président, il n’a pas cherché à esquiver les coups. Il a des atouts précieux : la stature, un rapport à l’Etat et à la laïcité insoupçonnable. A gauche, il faut qu’il purge le 49.3. Il a tout à construire: sa centralité dans la gauche et dans le pays. » L’ancien strauss-kahnien Jean-Marie Le Guen, devenu sa première gachette, reconnaît volontiers que Valls a pu « déranger » par son côté « vigie, lanceur d’alerte à gauche ». Mais le secrétaire d’Etat au Développement en est certain: la personnalité de son champion fera la différence dans la primaire : « C’est un homme d’Etat qui a l’expérience, l’autorité, la combativité. » Malek Boutih, élu de l’Essonne et fervent partisan de la laïcité, veut croire, lui, que le renoncement de François Hollande et la candidature de Manuel Valls ouvrent un nouveau chapitre : « On était parti pour une série B qui aurait pu finir en film d’horreur, mais là, avec sa candidature, l’histoire change. Il y a une possibilité de gagner la présidentielle. C’est une candidature qui ne vient pas du moule habituel, du coeur du PS, de ses courants, de ses barons, de ses alliances traditionnelles. C’est un nouveau personnage qui va apparaître. Il va devoir faire sa mue. »
La mue a déjà commencé. Par petites touches. Depuis la sortie du livre « Un président ne devrait pas dire ça… » et la colère qu’il a provoquée chez les socialistes, Manuel Valls se prépare à cette éventuelle
campagne. Il a réfléchi au positionnement qui devrait être le sien. Et il a donné des signes depuis quelques semaines. « Il avait déjà évolué en mettant la nation éducative au coeur de ce que devait être notre projet. Il a déjà fait des bougés forts sur l’Europe, sur la mondialisation. Il a grandi en ayant de la force, de l’énergie. Il a la culture de porter plus haut la politique, mais il n’a pas baigné dans une culture technocratique où, à la sortie de l’ENA, on se dit qu’on sera président de la République. Aujourd’hui, c’est une mutation profonde. Il sent bien qu’il est en train de passer un cap, ou plutôt qu’il faut qu’il passe un cap », décrypte Jean-Marie Le Guen.
De l’ambition, Manuel Valls en a toujours eu. Sur les bancs de la fac Tolbiac déjà, où dominait l’extrême gauche issue des si rouges années 1970, sa singularité se remarquait : « Il était sérieux, n’était pas habillé comme nous, ne s’enflammait pas comme nous. On voyait bien qu’il était différent. Il tranchait », se souvient un des leaders étudiants de l’époque. En 20092010, quand il cherchait par tous les moyens à se distinguer, quand il proclamait que le PS devait changer de nom, qu’il était un cadavre à la renverse, il détestait qu’on ne lui voie pas un grand destin. « Je suis élu de banlieue, d’une ville nouvelle qui a de l’énergie, c’est un endroit important. Le maire de Neuilly est bien devenu président de la République, pourquoi le maire d’Evry ne le deviendrait pas ? » confiait-il alors. On avait souri. « Je vous sens sceptique », avait-il noté. A l’époque, personne n’imaginait qu’il briguerait l’Elysée un quinquennat plus tard. Personne. Sauf lui.
Valls a longtemps été un « briseur de tabous », un homme qui aimait provoquer son camp, qui prenait plaisir à le faire avancer en le fracturant. Il sait que cette période est révolue. « Je ne vais pas faire campagne contre. La gauche que je porte, c’est celle qui refuse les déterminismes, les carcans. Nous avons une responsabilité: incarner l’espoir. Les jeunes seront au centre de ma campagne. La réussite de chacun se lit dans les yeux qui pétillent, pas dans l’argent amassé », affirme-t-il tranquillement. « Ma force c’est l’expérience, ajoute-t-il. Je dois montrer ce que je suis. L’humilité et l’écoute seront essentielles. Les Français me connaissent mais ils vont me regarder autrement.» Vérité, voeu pieux, simple storytelling ? On le saura très vite. La primaire aura lieu dans six semaines. Nul ne sait ce qu’elle donnera. « La dernière année a été épouvantable. Est-ce que les gens nous ont totalement zappés et ne veulent plus entendre parler de nous ? Ou est-ce que la violence de Fillon peut redonner envie de nous ? » s’interroge, incertain, un dirigeant socialiste.
En se lançant dans la campagne, Valls veut faire mentir tous ceux qui pronostiquent une inévitable défaite de la gauche : « Je suis candidat pour renvoyer l’extrême droite qui est aux portes du pouvoir dans ses cordes. Je suis candidat car la droite porte une vision étriquée et comptable. Ma candidature, c’est aussi une révolte. Je suis révolté à l’idée que la gauche soit disqualifiée. Cette révolte est collective. La gauche est plus forte que les individualités qui la constituent. Ma gauche, c’est l’alliance entre la République et le progrès. Si la gauche n’est ni la fierté, ni l’avenir, ni le progrès, qu’est-elle?» Valls a déjà constitué son équipe de campagne, plus diverse que prévue. On y trouve ses fidèles, bien sûr, mais aussi d’anciens partisans de Martine Aubry, brandis comme autant de prises de guerre, à l’instar du député Olivier Dussopt ou du président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, Mathieu Klein. « On n’est pas une promo de l’ENA, on est une promo de l’Unef. Ça va servir », s’amuse un pilier de la campagne, issu du syndicalisme étudiant.
Le candidat n’a pas encore finalisé son programme. « Après le temps de la maturation, viendra celui de la proposition en janvier », pronostique un intime. Mais de nouveaux sujets vont l’inspirer, sur lesquels on ne l’a guère entendu, comme la crise démocratique. « Il faut faire davantage confiance aux Français. On ne peut pas gouverner par ordonnances. Il faut mettre en place une réforme puissante des institutions, pas une VIe République ; mais il faut répondre au désarroi des Français. Il faudra mieux préciser le rôle du président de la République, le rôle du Parlement. Il faudra plus décentraliser. La question démocratique est posée depuis des années. Comme Premier ministre, je ne pouvais pas m’emparer de ces sujets. Comme candidat, je peux, je vais m’en emparer. Beaucoup de propositions étaient inscrites dans le rapport Winock-Bartolone. Je veux m’en inspirer. Il faut poser ce débat. » Il parlera d’Europe, du monde, de la place de la France, de tous ces sujets présidentiels s’il en est. Et ne sera pas le droitier qu’il a si souvent été. « Je veux tracer le chemin de la France dans ce monde nouveau, dans cette mondialisation qui doit se construire au niveau des peuples, dans cette Europe qui ne fonctionne plus. Je veux une France indépendante, forte, inflexible sur les valeurs, dans les messages qu’elle envoie », s’enflamme déjà Manuel Valls.
Aurélie Filippetti, qui se réjouissait tellement de son arrivée à Matignon avant de quitter le gouvernement quelques mois plus tard avec Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, racontait à l’époque: « Je pensais qu’il allait vouloir être président et qu’étant déjà identifié sur la question de l’autorité il allait s’ouvrir à gauche, vouloir se mettre au centre de la gauche, pour la rassembler, pour l’incarner. Je m’étais trompée. » Elle a simplement eu raison trop tôt. L’heure de ce nouveau Manuel Valls vient juste de sonner. S’il est encore temps.