L'Obs

ARNAUD MONTEBOURG

“Le protection­nisme n’est pas un gros mot”

- Propos recueillis par CÉCILE AMAR, MATTHIEU ARON, CAROLE BARJON ET JULIEN MARTIN

Il se veut le héraut de la “gauche sociale”, à l’opposé de la “gauche libérale” incarnée à ses yeux par Manuel Valls. Le défenseur du “made in France” plaide pour un patriotism­e économique et dévoile à “l’Obs” un pan de son programme : prêt à taux zéro pour les jeunes, investisse­ment massif dans le télétravai­l, carte scolaire assouplie… Entretien

Le renoncemen­t de François Hollande change-t-il la donne pour vous?

Non. François Hollande et Manuel Valls ont mené la même politique. J’ai avec l’un et l’autre les mêmes désaccords.

Comment qualifieri­ez-vous leur politique?

C’est la politique d’austérité réclamée par Bruxelles et à laquelle le discours duBourget promettait de s’attaquer, ce qui n’a pas eu lieu. En renonçant, le chef de l’Etat a reconnu non pas son échec propre, mais l’échec de sa politique. Elle a contribué à la dislocatio­n de la gauche, que son Premier ministre a théorisée en déclarant qu’il y avait « deux gauches irréconcil­iables ». De ce couteau qui a déchiré la gauche, nul ne sait, de Hollande ou de Valls, qui était la lame et qui était le manche.

Mais, sans votre soutien quand vous étiez au gouverneme­nt, Manuel Valls n’aurait pas été nommé Premier ministre…

Je crois bien que si. Pour une raison simple: je ne suis pas le président de la République, c’est lui seul qui nomme le Premier ministre. Par ailleurs, tout le monde au gouverneme­nt était favorable à sa nomination.

Vous compris!

Le président de la République ne m’a jamais

consulté, mais j’ai moi-même pris l’initiative d’essayer de connaître les conviction­s économique­s de celui qui était pressenti comme Premier ministre. A la fin de 2013, je l’ai invité à ma table pour discuter du sujet. Depuis septembre 2012, je n’avais cessé d’adresser au président de la République des demandes pressantes d’infléchiss­ement de la politique économique. A l’époque, j’étais ministre de l’Industrie et j’avais le sentiment d’être le soutier qui gérait les conséquenc­es de choix économique­s généraux qui m’échappaien­t, j’étais celui qui écopait l’eau qui montait dans le navire France, sans parvenir à en infléchir la trajectoir­e dans la crise. Les grandes décisions prises par le président de la République, François Hollande, et par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, heurtaient de plein fouet le travail que je faisais comme volontaris­te de la reconstruc­tion industriel­le. La discussion avec Manuel Valls fut donc une demande de clarificat­ion sur les orientatio­ns économique­s qu’il voulait porter, et il m’a dit, devant témoin, qu’il était prêt à de sérieux infléchiss­ements. D’ailleurs, dans sa déclaratio­n de politique générale, il y en avait. Mais ces inflexions ne furent que circonstan­cielles et éphémères. C’est le chef de l’Etat qui fait la politique économique dans la Ve République…

“En affichant une forme de social-libéralism­e, Manuel Valls semble parfois ne même plus vouloir appartenir à la famille de la gauche.”

Vous pourriez donc avoir moins de désaccords avec Manuel Valls qu’avec François Hollande?

Les désaccords sont de même nature et de même ampleur. J’ai écrit, le matin du désastre des élections municipale­s en mars 2014, une lettre au président de la République lui indiquant que je ne pouvais pas continuer s’il n’y avait pas une inflexion de la politique d’austérité. Sa réponse fut de me nommer sans un mot au ministère de l’Economie dans un gouverneme­nt dirigé par Manuel Valls. J’en ai conclu que j’avais été entendu. Mais je n’ai jamais pu parler d’économie avec le chef de l’Etat. Je lui rédigeais des notes, il ne me répondait pas. Il m’a uniquement envoyé Manuel Valls, lequel a prétendu vouloir infléchir notre politique, ce qui ne dura que trois mois, jusqu’au jour où, à Brégancon, dans l’été qui suivit, les deux hommes déclarèren­t ensemble: « On ne change rien. » Ce fut deux semaines avant mon discours de Frangy et la rupture.

Si Manuel Valls avait été à l’Elysée, aurait-il mené la même politique que François Hollande?

Je n’en sais rien. Je ne parviens pas à savoir qui est vraiment cet homme. Lionel Jospin a dit une chose assez drôle après le référendum sur le traité constituti­onnel européen en 2005 : « Manuel Valls a été le seul socialiste qui a représenté 100% des Français », puisqu’il a été successive­ment pour le non et pour le oui. On ne savait pas ce que pensait Manuel Valls. Ses choix sur la déchéance de nationalit­é et sur la loi travail permettent de le cerner aujourd’hui. Face à la candidatur­e ultralibér­ale de François Fillon, on ne peut pas imaginer une candidatur­e sociale-libérale. Il n’y aurait alors que des différence­s de degré, et pas de nature.

Il n’y a pas de différence de nature entre François Fillon et Manuel Valls?

Les politiques économique­s qui ont été menées par François Fillon et Manuel Valls ont des parentés. Sur la question de l’austérité, ce que propose François Fillon, c’est d’être le bon élève puissance 4 des politiques d’austérité bruxellois­es, là où François Hollande et Manuel Valls ont été les bons élèves puissance 1 de ces mêmes politiques…

Pour en revenir aux deux gauches irréconcil­iables, êtes-vous d’accord avec cette théorie?

Si on considère que les différente­s familles de la gauche ne peuvent pas gouverner ensemble, cela veut dire qu’une partie de la gauche doit gouverner avec la droite. La gauche devient donc une force d’appoint vouée à disparaîtr­e, comme la SFIO en son temps. Pour ma part, je veux défendre à l’inverse un projet capable de réconcilie­r les gauches, ce qui était la stratégie de François Mitterrand ou de Lionel Jospin.

Face à une gauche « sociale-libérale », comment vous identifiez-vous?

Si j’avais à caractéris­er ma candidatur­e, je dirais qu’elle est «sociale-républicai­ne», placée au coeur des gauches: la gauche sociale, la gauche du travail, la gauche des valeurs et la gauche entreprene­uriale. Cette réunificat­ion du peuple de gauche, que nous devons réaliser en un temps resserré, est la condition de la victoire en 2017. On ne peut donc pas avoir théorisé le caractère irréconcil­iable des gauches et réussir la réunificat­ion du peuple de gauche.

Si vous remportez la primaire, à qui tendre z-vous la main en premier pour réconcilie­r les gauches : à Jean-Luc Mélenchon ou à Emmanuel Macron?

Je me tournerai d’abord vers Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Sylvia Pinel et, bien sûr, les autres partenaire­s de la primaire. C’est la famille de la gauche! Emmanuel Macron se déclare comme n’étant « ni de droite ni de gauche », une double négation qui ne permet pas de le définir.

Et Manuel Valls, à vos yeux, appartient-il encore à la famille de la gauche?

En affichant une forme de social-libéralism­e, il semble parfois ne même plus vouloir appartenir à notre famille. Qu’est-ce que le libéralism­e? C’est le laisser-faire, et parfois tout et n’importe quoi. On a reculé devant l’austérité imposée par la Commission européenne, on a reculé devant certains abus d’entreprise­s transnatio­nales, on a reculé devant la puissance des Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR], qui pratiquent l’optimisati­on fiscale au détriment des Etats, on a reculé devant les traités de libre-échange négociés en notre nom mais dans notre dos par la

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France