"TOUT A CHANGE QUAND ILS SE SONT SENTIS MINORITAIRES"
François Fillon, en se posant en défenseur de la famille traditionnelle, a su capter les suffrages d’un électorat catholique qui se sentait laissé pour compte. Décryptage par Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop
La victoire de François Fillon à la primaire de la droite est-elle due au vote des électeurs catholiques?
Il doit en partie son élection aux catholiques de droite. L’étude des résultats démontre qu’il y a eu une surmobilisation de ces derniers par rapport aux électeurs de droite non catholiques. François Fillon est celui qui a recueilli le plus grand nombre de voix des catholiques de droite: 59% contre 27% pour Nicolas Sarkozy et seulement 11% pour Alain Juppé. Cette domination est des plus nettes. Mais il faut rappeler que François Fillon a obtenu en moyenne un score de 51% dans l’ensemble de l’électorat de droite. Les catholiques ont donc encore plus voté pour lui que la moyenne et ont contribué à amplifier sa domination.
Ses propos sur la famille « pilier fondamental » de l’organisation de la société qui « n’est pas un sujet d’expérimentation sociétale » ont été déterminants pour cet électorat.
Est-ce le signe d’un réveil de la France catholique?
Oui, incontestablement, même si ce mouvement est amorcé depuis plus longtemps qu’on ne pense. Voilà déjà une vingtaine d’années que seulement 10% des gens qui se reconnaissent comme catholiques sont pratiquants, contre 45 à 50% de non-pratiquants. Ils avaient conscience d’être devenus minoritaires dans la société française. Ils en étaient navrés, mais s’y résignaient peu ou prou. La question qu’ils se posaient alors était: comment faire revenir du monde dans nos églises ?
Tout a changé avec la Manif pour tous. Cet épisode leur a fait prendre conscience que le pouvoir politique pouvait adopter des textes qui heurtent profondément leurs valeurs. Pour eux, la question est devenue: « Comment se faire entendre ? », « comment défendre notre socle de valeursfondamentales? ». Surtout, ils ont constaté que malgré l’ampleur des manifestations le texte a été adopté, contrairement à ce qui s’était passé en 1984 lorsque François Mitterrand avait retiré le texte d’Alain Savary sur l’école libre.
Une bonne partie des catholiques en a donc tiré la conclusion qu’ils devaient s’organiser et élaborer une stratégie e cace pour peser sur le pouvoir politique. Pour une autre partie de ces manifestants, le fait d’être minoritaires dans une société déchristianisée se double d’une inquiétude face à l’islam. Pour eux, le risque existe d’un « grand remplacement » culturel et religieux. En proposant l’an dernier dans un livre d’utiliser les églises abandonnées pour y installer de nouvelles mosquées, Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, a renforcé cette inquiétude. Cette proposition avait choqué les catholiques et entraîné la pétition « Touche pas à mon église », lancée par Denis Tillinac. Philippe de Villiers traduit ce sentiment à sa manière, lorsqu’il a rme que ce qui nous guette désormais, c’est le statut de « dhimmi », imposé aux minorités dans les pays musulmans.
A cette insécurité culturelle s’ajoute désormais un sentiment d’insécurité physique depuis l’assassinat du père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray, l’été dernier.
Doit-on faire une différence entre la grande masse des catholiques et les manifestants du printemps 2014 ?
Oui et non. Oui, parce que ce réveil d’une conscience catholique commence de manière di use à la fin des années 1980, bien avant l’épisode du mariage pour tous. A ce moment-là, par exemple à propos des publicités Benetton qui utilisent, à des fins commerciales, la figure du Christ de manière choquante pour des pratiquants, certains commencent à penser : « Pourquoi s’émeut-on seulement lorsqu’on agresse les autres religions ? » Mais, à l’époque, les catholiques se sentent encore majoritaires. La France vit dans une sorte de catho-laïcité qui convient à tous. On mange du poisson le vendredi dans les écoles et on installe des crèches de Noël dans les mairies sans que cela choque quiconque.
Tout a changé à partir du moment où les catholiques se sont sentis devenir minoritaires et où ils ont estimé que leur modèle de famille traditionnelle était remis en question. La Manif pour tous a cristallisé ce sentiment et a été l’expression d’une stratégie d’a rmation et d’entrisme pour influencer les lieux de pouvoir, à l’instar d’autres réseaux d’influence. Le nom du mouvement Sens commun, issu de la Manif pour tous, n’est pas un hasard. Il vient de la phrase de Gramsci : « L’idéologie a gagné le jour où elle devient sens commun. »
BIO Diplômé de l’Institut d’études politiques de Rennes et spécialiste de la géographie électorale, Jérôme Fourquet est directeur du département Opinion et stratégie d’entreprise de l’Ifop.