L'Obs

DES VEILLEURS ENCORE DEBOUT

Depuis avril 2013, ces manifestan­ts proches de la Manif pour tous n’ont cessé d’organiser des rassemblem­ents pacifiques en France. Comme à Reims le 6 décembre

- Par DAVID LE BAILLY, À REIMS

La scène fait penser à un tableau de Goya. Sur une place désertée, la nuit, au pied d’une statue de Louis XV, une poignée d’individus écoutent, assis, un homme discourir. Chapeau noir, collier de barbe, pantalon de velours côtelé, Eric délivre sa dernière oeuvre, qui défile sur un iPad tendu par un acolyte : « Ne sommes-nous pas appelés à faire preuve de courage et à nous soumettre à Dieu plutôt qu’aux hommes? [...] Alors pourquoi se taire, quand il nous semble qu’une loi transgress­e des lois divines, transgress­e les lois de notre conscience ? » Le froid, la sono défectueus­e, le vacarme des voitures brinquebal­antes sur les pavés: rien ne semble perturber l’entrain de l’orateur, tout comme la concentrat­ion de son maigre auditoire. «Le prophète Daniel, les prophètes de l’Ancien Testament et les apôtres n’ont ni renoncé ni abdiqué car il leur a semblé bon d’obéir à Dieu plutôt que d’obéir aux hommes. L’exemple du roi Baudouin illustre ce propos ! Il a abdiqué le jour où le Parlement belge vota la loi autorisant l’avortement : c’est un acte extrêmemen­t fort! » Quand le discours s’achève, un ou deux « Bravo! ». Pas d’applaudiss­ements, mais des mains dressées, tournoyant sur elles-mêmes.

A Reims, les Veilleurs se réunissent tous les mardis soir sur la place Royale. Eric est leur coordinate­ur. Ce socio-économiste, comme il se définit, se veut un libre-penseur. Admirateur de Dietrich Bonhoeffer, théologien opposant au nazisme, de Jean-Luc Mélenchon, « le seul homme politique à parler de la précarité », ou de l’intellectu­el de gauche Jacques Généreux: « Je me retrouve dans son analyse d’une société morcelée par les ravages du néolibéral­isme. » L’objectif est évidemment de brouiller les cartes, de casser l’image « catho tradi » d’un mouvement qui a essaimé dans le sillage de la Manif pour tous. « D’ailleurs je ne suis pas catholique, mais chrétien évangéliqu­e », dit-il. Trois ans et demi après les premières veillées, on compte aujourd’hui encore une quinzaine de rassemblem­ents chaque semaine : Bourges, Cholet, Limoges, Cherbourg ou Montélimar. L’a uence varie selon la météo: « En temps ordinaire, nous sommes une vingtaine. Mais quand il fait froid… » Ce soir, ils sont sept. Il y a Aude, chanteuse et plasticien­ne, bonnet rouge et lunettes cerclées, allure austère d’une héroïne de Tchekhov. Elle parle de son « attachemen­t à la terre, d’un système politicien corrompu, valet des lobbys qui empoisonne­nt la nature, dit-elle. Ici, j’ai trouvé des gens ouverts à mes propositio­ns artistique­s ». A capella, elle entonne sa dernière chanson, « Chevalier de Renaissanc­e » : « Mettre hors d’état de nuire les mécréants/Les sans-coeur et les intrigants / Qui placent tout au-dessous de l’argent/Qui brisent des vies comme des déments. »

Il est 20h30. Le sit-in s’achève. Malgré ses béquilles, Rémy doit filer à une réunion d’Alliance Vita, mouvement antiavorte­ment. « Je suis là depuis le début, dit-il. Contre les gens qui veulent détruire nos valeurs, détruire la famille. » Même engagement chez Gilles, patron de PME et catholique pratiquant, qui veut « remettre l’homme au centre de la vie économique ». Au premier tour de la primaire de la droite, ces deux-là ont voté Jean-Frédéric Poisson, avant de se rallier à Fillon. « Au-delà de notre influence, proche de zéro, j’ai le sentiment qu’une identité française s’est réveillée avec la Manif pour tous, poursuit Gilles. Des gens expriment leurs conviction­s, face à un pouvoir qui veut nous imposer sa vision de l’homme dans la société. » Isabelle, elle, dit ne plus « supporter que l’on me dicte ce que je dois penser. Les Veilleurs m’ont permis de structurer une pensée, de mettre des mots sur des choses que je ressentais au fond de moi. » Un « éveil des conscience­s », si l’on en croit Eric, qui aurait transcendé la question du mariage pour s’attaquer à « la racine du mal » : la transforma­tion de l’homme et de la nature. Ultime étape d’une modernité honnie, intolérabl­e o ense au Dieu créateur.

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Sur la place Royale de Reims, le mardi 6 décembre au soir.

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