Neil Young contre les visages pâles
PEACE TRAIL, PAR NEIL YOUNG (WARNER).
« Casse la baraque ou casse-toi », lui disait feu son producteur David Briggs, qui était aussi son meilleur ami. Neil Young n’a jamais choisi la deuxième option. Toujours à faire ce qui lui plaît, le maître folk singer de « Heart of Gold » : des ballades à pleurer sur « Harvest », d’increvables épopées électriques comme « Cowgirl in the Sand », des hymnes grunge comme « Hey Hey, My My », et même un chef-d’oeuvre méconnu, « le Noise », qui ne date que de 2010. Bientôt un demi-siècle que ça dure. « Can’t Stop Working », comme il dit sur « Peace Trail ».
L’an dernier, le bûcheron canadien dégainait sa guitare contre le Roundup dans un disque sans OGM (« The Monsanto Years »). Cette fois, il évoque les « Texas rangers » et des attentats-suicides en deltaplane. Surtout, le procureur de « Cortez the Killer » se fait l’avocat des Indiens qui luttent contre la construction d’un pipe-line géant dans le Dakota : « Une bataille fait rage sur le territoire sacré […]. Nous sommes tous ici ensemble pour lutter contre les eaux empoisonnées », chante-t-il sur « Indian Givers ». Le refrain sonne comme une prière, doublée d’un appel : « J’aimerais que quelqu’un partage ces nouvelles » (la prière a-t-elle été entendue ? Le tracé de l’oléoduc semble désormais en cours de révision).
« Peace Trail » a été enregistré dans les studios mythiques de Rick Rubin. C’est le 38e album de Neil Young. On l’y retrouve tout entier, avec ses rythmiques semi-étouffées, ses mélodies lancinantes, l’irrésistible fragilité de sa voix presque féminine. Ce chaman a-t-il bien fait de la déformer au vocoder sur « My Pledge » ou « My New Robot » ? Il s’y était déjà risqué sur « Computer Cowboy » en 1982. Bizarrement, sur ce disque dominé par les sons acoustiques, c’est beaucoup plus réussi. Par une sorcellerie dont Young a le secret, sa folk intemporelle a l’art d’absorber toutes les audaces : rafales d’harmonica cradingues, basse athlétique de Paul Bushnell, jeu de batterie faussement rudimentaire où l’excellent Jim Keltner fait gronder ses toms comme des tam-tams. Neil Young reste un seigneur. Il a bien fait de ne pas s’arrêter.