L'Obs

James Thierrée ne joue plus

LA GRENOUILLE AVAIT RAISON, DE JAMES THIERRÉE. JUSQU’AU 31 DÉCEMBRE, ROND-POINT, PARIS-8E, 20H30, 01-44-95-98-21.

- JACQUES NERSON

Elle a peut-être raison, cette « Grenouille », mais elle tombe à plat. La déception se lit sur les visages à la sortie du théâtre. C’est le premier ratage de James Thierrée depuis « la Symphonie du hanneton » voici dix-huit ans. Encore est-il relatif puisque le Rond-Point n’a plus une place à vendre depuis des mois. Thierrée fait salle comble partout où il passe. Le monde entier le réclame. Il est vrai que, ses spectacles étant essentiell­ement visuels, la barrière des langues ne l’arrête pas. Et c’est peut-être là que gît le lièvre. On a en e et l’impression que cet échec n’est pas un simple accident de parcours. Qu’il marque la fin d’un cycle. Que Thierrée se sent maintenant trop à l’étroit dans le théâtre du geste. D’où peut-être la morosité du personnage qu’il incarne ici : un éternel mécontent qui passe son temps à enguirland­er muettement ses partenaire­s. Ce n’est pas un hasard si sa bonne humeur et son innocence se sont envolées. Le coeur n’y est plus. Remarquez d’ailleurs que, comme un enfant blasé, il utilise à peine les jouets compliqués qu’il s’est fait construire, que ce soit ce bras articulé qui pivote comme un manège d’avions ou cet escalier en colimaçon qui se relève et se couche tout seul comme les push puppets, ces petits animaux de bois qui s’animent quand on appuie sur le socle.

Depuis deux millions d’années qu’Homo habilis a appris à parler, les mots n’ont pas cessé de se multiplier. Henriette Walter, linguiste éminente, estime que nous en avons 1 200 000 à notre dispositio­n. Et chaque jour il en naît de nouveaux. En se privant d’une palette aussi riche, Thierrée se condamne à n’utiliser que des couleurs élémentair­es, joie, peur, colère, chagrin, etc. Peut-être a-t-il besoin de sortir de l’impasse. D’abandonner le muet comme le fit son grand-père, Charlie Chaplin, à partir de « Monsieur Verdoux ». Il vient d’ailleurs de démontrer dans « Chocolat », le (médiocre) film de Roschdy Zem, qu’il est un acteur à part entière, pas seulement un mime. On aimerait à présent le voir s’attaquer aux fantasmago­ries de Gozzi, aux pays merveilleu­x de Lewis Carroll, à des aliments en tout cas plus consistant­s que cette « Grenouille » famélique, sans rime ni raison.

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