L'Obs

Irak Entretien avec Athil al-Nujaifi, ex-gouverneur de Mossoul

L’ex-gouverneur de la ville, Athil al-Nujaifi, qui a dû fuir en juin 2014 à l’arrivée de Daech, prévient que vaincre les djihadiste­s prendra du temps

- Propos recueillis par SARA DANIEL, envoyée spéciale en Irak

La bataille contre Daech à Mossoul semble plus difficile que prévu, cela vous surprend-il?

Non. L’armée irakienne est allée trop vite pour libérer la ville. Elle a pensé que ce serait un combat facile parce que inégal. Mais les forces engagées ne sont pas su santes pour tenir le terrain conquis. De plus, elles n’ont pas consulté les habitants de Mossoul, ce qui est une faute grave. Il y a des résistants à l’intérieur de la ville (les Brigades de la Libération et de la Paix, par exemple) qui pourraient aider à la libération, mais qui ont besoin de savoir qu’on leur o rira un rôle politique dans l’organisati­on future. Or le gouverneme­nt à Bagdad les ignore délibéréme­nt. Sans parler de ceux qui soutenaien­t Daech et aimeraient changer de camp. La région ne sera jamais stable si on ne fait pas ce travail politique qui doit accompagne­r la bataille.

Quand on s’approche des lignes de front, on voit que l’armée irakienne partie libérer une ville sunnite arbore les drapeaux d’Ali, le saint patron des chiites. Est-ce une faute politique?

Ce n’est pas une bonne chose. Pourtant, je dois dire que l’armée irakienne s’est jusqu’ici très bien comportée avec les habitants de la ville. De plus, la présence de troupes turques au Kurdistan rassure les habitants de Mossoul. Et a aiblit la propagande de Daech, qui a rme que cette guerre est une guerre confession­nelle entre les chiites et les sunnites.

Vous disposez d’une milice de quelques milliers de soldats, la Garde de Ninive, entraînée par la Turquie. Participe-t-elle à la bataille?

La Garde de Ninive est positionné­e au nord de Mossoul, avec la 16e division de l’armée irakienne, et nous espérons voir nos soldats entrer prochainem­ent dans la ville.

Etes-vous néanmoins optimiste sur l’issue des combats?

Nous finirons par gagner, mais cela prendra du temps. Et l’armée est durement touchée. Il est di cile de chiffrer nos pertes, mais je peux vous dire que dans la bataille qui s’est déroulée la semaine dernière autour de l’hôpital Al-Salam [ancien QG des djihadiste­s de Daech], les véhicules d’une compagnie entière ont été détruits. Ainsi je pense que nous allons avoir besoin d’une aide internatio­nale plus soutenue que celle qui existe aujourd’hui, sur les plans militaire et humanitair­e. D’autant qu’il n’y a pas de vraie stratégie pour la libération de la ville, en particulie­r du côté ouest du Tigre.

Comment expliquez-vous ce défaut de planificat­ion?

Une des raisons est que la coalition internatio­nale participe à la bataille mais pas complèteme­nt. O ciellement l’Irak n’a pas demandé l’aide internatio­nale ni celle des Américains qui ne souhaitent d’ailleurs pas s’engager pleinement dans la guerre.

Comment voyez-vous l’avenir de l’Irak?

Je crois à un Irak fédéral. Au sein du gouverneme­nt irakien, certains chiites sont partisans de cette solution. Ils ont compris que la guerre à outrance n’avait pas d’issue et cherchent à s’entendre avec les sunnites et les Kurdes. Mais d’autres groupes font de la résistance. Les milices chiites armées de la Mobilisati­on populaire veulent écraser Mossoul et imposer leurs conditions aux sunnites. Elles sont soutenues par l’Iran qui a une influence déterminan­te. Avant la prise de la ville par l’organisati­on Etat islamique, le gouverneme­nt de Bagdad a ignoré les signes du malaise des habitants de la ville. Ainsi, seuls 15% d’entre eux participai­ent aux élections. Les manifestat­ions étaient réprimées sévèrement. Alors le gouverneme­nt de Nouri al-Maliki a abandonné Mossoul aux djihadiste­s en juin 2014, sans penser que la chute de la ville entraînera­it celle de l’Irak. Il ne faudrait pas répéter les erreurs du passé au risque de voir Daech réapparaît­re.

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 ??  ?? Ci-dessus, les soldats irakiens se préparent pour la ligne de front, le 2 décembre. Athil al-Nujaifi, gouverneur de la province de Ninive de 2009 à 2014.
Ci-dessus, les soldats irakiens se préparent pour la ligne de front, le 2 décembre. Athil al-Nujaifi, gouverneur de la province de Ninive de 2009 à 2014.

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