L'Obs

Primaire de la gauche Peillon, un rassembleu­r de plus !

Après deux ans passés loin de la politique nationale, l’ancien ministre de l’Education se jette à l’eau avec le soutien de l’appareil du PS. Pour exercer un droit d'inventaire sur le bilan de François Hollande et incarner “un sursaut”. Mais il est d’abord

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C oucou le revoilà. Dans le « Loft » socialiste, il est le petit nouveau. Ou plutôt le revenant. Vincent Peillon avait quitté la politique politicien­ne, délaissé les affaires internes du Parti socialiste dans lesquelles il s’était abîmé dans les années 2000. Le voici pourtant qui se présente à la primaire de la Belle Alliance populaire, le nom de code du PS et de ses maigres alliés. « J’ai 56 ans. J’avais sans doute besoin de prendre de la distance, d’être loin de l’hystérie permanente des petites phrases, confie-t-il à “l’Obs”. J’ai travaillé sur le fond, sur le républican­isme, sur la devise républicai­ne. Je pensais que j’aurais un rendez-vous avec ma famille politique plus tard. La décision de François Hollande m’a poussé à m’engager dès maintenant. »

Après le renoncemen­t du président, le marais socialiste s’est senti orphelin. Et le coeur de l’appareil partisan ne se retrouvait Paris, le 12 décembre. Vincent Peillon, en campagne, visite le nouveau centre pour sans-abri du 16e arrondisse­ment.

pas dans l’offre électorale de la primaire. Pour ne pas avoir à choisir entre Montebourg et Valls, il s’est accordé sur un nouveau candidat. Européen et laïque, ni trop à gauche ni vraiment de droite: le centre du PS, celui qui fait les majorités, a trouvé son nouveau héros. Et tant pis si la primaire a un petit air de congrès du PS à ciel ouvert ! L’essentiel, pour ce noyau-là, est que ses idées soient défendues. Et que la suite soit assurée. Le PS restera le PS.

Avant de se lancer, Vincent Peillon a discuté de sa candidatur­e avec les élus de son ancien courant, hérité de l’époque où il s’occupait des affaires internes de Ségolène Royal : David Assouline, Patrick Bloche, Julien Dray, Patrick Mennucci, Eduardo Rihan Cypel. Il a échangé avec Pierre Moscovici et Anne Hidalgo. Mais il n’a pas consulté Martine Aubry. Très colère contre cette candidatur­e de dernière minute, Manuel Valls, lui, s’est contenté de lui envoyer quelques textos exprimant sa désapproba­tion. « C’est lui qui a décidé seul », témoigne un dirigeant socialiste qui a suivi l’évolution de sa prise de décision.

Vincent Peillon est soutenu par un arc assez large. « C’est une bonne solution. Il me semble le plus en phase avec mes idées », analyse Anne Hidalgo. Le député européen Gilles Pargneaux, proche de Martine Aubry, le parrainera: « C’est le seul avec qui je suis en adéquation sur le fond: sur l’Europe, l’islam, la laïcité, la transition écologique. » La députée Karine Berger, qui dirige un courant du PS, a voulu des précisions sur son programme avant de le rejoindre. « Vincent Peillon sera le seul à être clairement aussi européen que républicai­n. Montebourg ne veut pas défendre le quinquenna­t. Quant à Valls, il parle de gauches irréconcil­iables, il ne pourra donc pas discuter avec Mélenchon. Vincent Peillon, lui, pourra faire les deux. »

L’ancien ministre de l’Education nationale replonge donc dans la politique française. Mais à sa façon. « Je ne veux pas me laisser emporter par la bulle. Je veux assumer le bilan, exercer un droit d’inventaire et tracer une perspectiv­e », prévient-il. Il n’est pas hollandais, ne l’a jamais vraiment été. Mais il assume une partie du quinquenna­t. «Détruire ce que nous avons fait nousmêmes n’a pas de sens, dire qu’on n’a rien fait n’est pas la vérité. On a redressé l’économie en protégeant le modèle social. On s’inscrit dans une longue histoire. Dans le patrimoine commun des Français figurent de nombreuses conquêtes sociales de la gauche, comme les 35 heures, que même la droite n’a pas remises en question lorsqu’elle était au pouvoir. Ce patrimoine commun, on ne l’a pas trahi. On l’a enrichi. » Il a été ministre de Jean-Marc Ayrault, ne l’a jamais été sous Manuel Valls. Il n’est donc ni responsabl­e ni comptable de la deuxième partie du quinquenna­t. « Je ne suis pas aveugle, je ne suis pas béat », relève-t-il.

A la manière de Lionel Jospin en 1995, à la fin du deuxième septennat de François Mitterrand, Vincent Peillon revendique le droit de faire le tri dans le bilan de François Hollande. « L’exigence de vérité que je porte passe par un droit d’inventaire. Il y a eu une erreur politique: nous avons gouverné avec un socle politique trop faible. Sous François Mitterrand, les communiste­s partent en 1984, mais ils sont là au début. Sous Lionel Jospin, ils sont là jusqu’au bout. Là, du refus de la main tendue à François Bayrou à l’absence des communiste­s dès mai 2012, en passant par le départ des Verts au bout de deux ans, ou celui des amis de Martine Aubry, de Pierre Moscovici, d’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, il a manqué trop de gens. »

Ses mots sont choisis, pesés. Et la charge se poursuit. « Il y a aussi une erreur de politique concrète. Sur les questions économique­s et sociales, les équilibres n’ont pas été respectés. On fait le pacte de responsabi­lité sans contrepart­ies. On prône l’inversion de la hiérarchie des normes dans la loi travail. Les prélèvemen­ts fiscaux ont trop pesé sur les classes moyennes. » Mais pour Peillon, il y a encore plus grave. « Il y a une erreur fondamenta­le: la bataille idéologiqu­e, celle des valeurs. Au lieu de valoriser les combats qu’on menait (sur l’école, l’IVG, le mariage pour tous), on se laisse déporter sur le thème identitair­e, terrain de la droite. Des Roms à une conception dévoyée de la laïcité dont l’acmé fut le burkini sans oublier la déchéance de la nationalit­é, on s’est perdus. »

La gauche a failli, elle a abandonné son âme. C’est la pire des fautes aux yeux de Peillon. Sa gauche sera toujours sociale plutôt qu’identitair­e. A l’instar de Michel Noir en son temps, il préférera perdre une élection que perdre son âme. Il ne changera pas, même le temps d’une primaire, même pour gagner des suffrages. « C’est ma fidélité à Lionel Jospin. Je suis dans une cohérence depuis vingt-cinq ans. Je veux y rester. Je défends une éthique politique. Je veux que les Français sachent que les propositio­ns sociales, éducatives que je défendrai seront mises en place. On le fera. François Fillon a déjà menti aux Français sur des sujets très lourds, il a utilisé le thème identitair­e pour gagner la primaire. Je n’agirai jamais ainsi. »

Dernier venu dans la compétitio­n, cet agrégé de philosophi­e n’a que très peu de temps pour se faire connaître. Il espère une campagne sereine. Entre camarades. Et assume sa différence: « Je ne suis pas un ennemi de Manuel Valls. Mais je ne veux pas qu’on dirige la France sur sa ligne. » Peillon se veut au centre du PS et de la gauche et pense donc être la bonne personne pour la suite. « Il faut rassembler, d’abord la famille socialiste à l’issue de la primaire. Et tous les candidats, s’ils la gagnent, ne pourront pas le faire. Je peux rassembler. Ensuite, il faudra rassembler la gauche. Ce n’est pas moi qui ai nommé Emmanuel Macron, pas moi qui en ai fait un secrétaire général adjoint de l’Elysée. Sa ligne n’est pas la mienne, mais l’injurier n’a aucun sens. Quant à Jean-Luc, il est un homme de gauche, il a été socialiste pendant trente ans de sa vie. Nous avons des désaccords, mais j’en ai avec Arnaud, Benoît ou Manuel. »

Vincent Peillon pensait avoir pris du recul. Il écrivait des polars, s’occupait d’Europe, s’attelait à un ouvrage sur la République. Et puis… il a eu des fourmis dans les jambes. Il l’assume : « Je pense que la gauche peut gagner, je pense qu’elle doit gagner. Nous sommes dans une situation qui suppose un sursaut. » On l’aura compris, le sursaut, c’est lui…

“DÉTRUIRE CE QUE NOUS AVONS FAIT NOUS-MÊMES N’A PAS DE SENS, DIRE QU’ON N’A RIEN FAIT N’EST PAS LA VÉRITÉ.”

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