L'Obs

Les lundis de Delfeil de Ton – Les mots croisés

Où l’on voit que chez certains, c’est une seconde nature

- D. D. T.

Chez les Le Pen, on pense bas. Remontons à quelque trentecinq ans. La candidate à la présidence allait encore au collège et sa nièce, qui se pose déjà en rivale, n’était pas née. Le fondateur de la dynastie plastronna­it. Le sida venait d’être identifié. Aussitôt, Le Pen, mine gourmande, trouve un mot pour désigner ses victimes : « sidaïque ». Il ne s’agissait, pensait-on alors, que d’homosexuel­s mâles. Sidaïques, dans la bouche de Le Pen, exprimait le cas qu’il en faisait. Il les désignait parias de la société avec cette épithète bâtie sur le modèle d’une autre, judaïque, dont il était sous-entendu que le cas qu’il en faisait était le même. Il fallait selon lui isoler les sidaïques de la société, comme on faisait dans les bons temps avec les judaïques, ce que Castro, d’ailleurs, rappelons-le, puisqu’on parle beaucoup de lui en ce moment à l’occasion de son décès, s’était empressé de faire à Cuba. Retour en France : à cette trouvaille du sidaïque, il avait été répondu immédiatem­ent par une autre trouvaille, « sidéen ». Sidéen s’imposa sans problème et le sidaïque de Le Pen, qu’il avait essayé de faire entrer dans le langage commun, se trouva confiné au cercle familial, augmenté des plus chauds partisans de son inventeur.

Penser bas, ça se transmet. La candidate Le Pen à la présidence se taisait. Fillon, Juppé, Sarkozy, se déchiraien­t à droite à l’occasion de la primaire, ils faisaient assaut de séduction avec des idées qu’elle partage, tenus qu’ils se croyaient de flatter les électeurs qui lui étaient acquis. Fillon choisi comme candidat unique, elle reprend la parole, de peur qu’on l’oublie après le tintamarre des trois autres, embrayant sur le thème favori de sa famille : le rejet du pas pareil, la phobie de l’étranger. Sur ce thème, on ramasse des bulletins de vote et c’est sans risque puisque l’étranger ne vote pas.

Chez l’étranger, elle s’en est pris à ce qu’il y a de plus faible : l’émigré qui a fui la terreur, la guerre, la misère. Chez l’émigré, elle s’en prend au plus faible : l’enfant. Dans notre France, figurez-vous, qu’elle voudrait qu’elle soit la sienne, l’enfant de l’immigré le plus faible, l’enfant de celui qui n’a pas ses papiers en règle, peut aller à l’école publique, y apprendre, pour commencer, à lire en français. Non seulement il a le droit d’y aller mais ses parents ont le devoir de l’y envoyer. Voyez-vous ça ? Des étrangers ! En situation irrégulièr­e ! L’école gratuite ! Puis quoi encore ? La Le Pen, qu’on le sache et elle le proclame, une fois présidente, plus de ces choses-là. Elle a ce mot, qui ajoute à la bassesse de la pensée la bassesse de l’expression : « C’est terminé, c’est la fin de la récréation. » Elle a aussi hérité, de son père, une jouissance dans le jeu des mots. Puisqu’il s’agit de mettre fin à une certaine école, on si e « la fin de la récréation »… Vous la sentez, la finesse ? Vous le voyez en lumière, le recoin de la haine ?

La leçon du fondateur n’est jamais oubliée. Au même moment, la nièce de la Le Pen, la rivale, bientôt l’adversaire, se choisit une cible. Il s’agit de la femme ou de la jeune fille enceinte et qui souhaite avorter. Cette chronique s’étonnait, la semaine dernière, que le gouverneme­nt fasse voter une loi qui menacera de prison le discours anti-avortement, restreigna­nt du coup la liberté d’expression. Cette loi n’empêchera pas le discours Le Pen, lequel, dans la bouche de la nièce, se traduit par : « fin du remboursem­ent intégral et illimité de l’avortement ». La tante, qui pense présidence, dénonce cette imprudence, même si elle tenait naguère les mêmes propos. La nièce, qui pour l’heure pense réélection à l’Assemblée nationale, maintient les siens et se dispense, dit-on, des réunions au sommet du parti, préférant s’occuper de sa bambine, prénommée Olympe. Olympe ! Chez les Le Pen, jusqu’où ne souhaitero­nt-elles pas s’élever.

Vous le voyez en lumière, le recoin de la haine?

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