L'Obs

On en parle Chanel, la nonchalanc­e du cool

La maison Chanel a organisé son défilé des métiers d’art au Ritz, dernière demeure de Coco Chanel. Un show mêlant tradition française et attitude décontract­ée. La magie des contrastes selon Karl Lagerfeld

- Par CÉLINE CABOURG

Coco Chanel s’y est éteinte, un dimanche soir de pleine lune, le 10 janvier 1971, trentequat­re ans après s’y être installée. Allongée, tout habillée sur le lit de cette petite chambre beige et bleu du Ritz, à deux pas de ses ateliers de la rue Cambon. En ce mardi glacial de décembre 2016, Lily-Rose Depp, rayonnante, a réveillé le palace de la place Vendôme, rouvert après quatre années de travaux, dans un ensemble blanc à sequins, en défilant pour la première fois pour les métiers d’art de la maison Chanel.

Au rythme de « Clouds Across the Moon » – rappel subliminal à la pleine lune de 1971 –, la Fée Clochette, si attendue, a, d’un coup de baguette magique, ouvert le bal devant une assemblée hétéroclit­e, comme nulle autre maison ne sait en réunir. « Paris Cosmopolit­e », annonçait le carton d’invitation, épithète idéale pour cibler la clientèle internatio­nale de ce lieu mythique. Le moment était venu de secouer le côté monacal du palace à l’ancienne qu’avait pu fréquenter Gabrielle dans les dernières années de sa vie.

Seul Karl Lagerfeld, peu enclin à regarder en arrière et à s’encombrer de poussière historique, pouvait revisiter tout ça. Avec brio et éclats de rire rafraîchis­sants, les mannequins ont défilé du salon Proust (autre habitué historique) à la galerie, avant de gagner le bar alors que les convives portaient à leurs lèvres une délicate tasse en porcelaine de Ritz Earl Grey, picorant (milieu de la mode oblige) tuiles et financiers d’antan. Parmi les stars du podium, une brochette de « filles de » et même « petit-fils de » (Lévi Dylan), incarnatio­ns teenage du cool : Georgia May Jagger, Sistine Stallone, coiffées de voilettes ou de roses, libres de se déhancher, de se mouvoir et de déambuler entre les tables sans tirer la tronche. L’espiègle Cara Delevingne improvisai­t un pas de deux sautillant avec l’un des jumeaux des Twins (danseurs pour Beyoncé et mannequins) et évidemment le prince Pharrell Williams, veste Chanel bleu nuit rebrodée de fils d’argent, un chignon blond piqué de pinces aux deux C en postiche, s’invitait l’air de rien, en bon copain, à la table d’Audrey Marnay.

Au salon Proust, la tablée très British réunissant un gentleman impeccable­ment mis – veste tweed, cravate rouille, chaussette­s d’un orange soutenu dans des mocassins à glands – et une baronne anglaise aux cheveux gris bleuté, portant robe fourreau réhaussée d’un long collier de perles multi-rangs, n’en perdait pas une goutte. Pas plus que cette Française Castafiore aux cheveux violets et chapeau fuchsia tacheté, très dissonant, qui portait crânement d’une main son micro-accessoire vivant : une boule de poils affublée d’un noeud rouge et d’une collerette.

Le centre stratégiqu­e du décor se situait face à la fontaine, sous la verrière, à la table de la ministre de la Culture, Audrey Azoulay. Ici comme ailleurs, le plan de table était signe de puissance : Bruno Pavlovsky, président des activités mode de Chanel, Loïc Prigent, l’auteur réalisateu­r éclairé de la fashionsph­ère, Olivier Saillard, directeur du Musée de la Mode, et Xavier Romatet, le PDG de l’empire Condé Nast France.

Après le ballet crème des tweeds et doudounes molletonné­es et duveteuses, écho aux pâtisserie­s et autres meringues proposées en gourmandis­es, des leggings corsaires pailletés et scintillan­ts apportaien­t une touche nouvelle à l’idée du costume, lequel revient en force cet hiver : smoking à veste croisée, boléro sur jupe tube, ensemble en cuir noir.

La veille, quelques journalist­es de la presse étrangère et française s’étaient ambiancés lors de cours de fitness et de cuisine française, car ça aussi, c’est Paris! Un cocktail avait été donné à l’étage du salon impérial avec des miniconcer­ts improvisés par les VIP maison, comme Alma Jodorowsky ou Willow Smith, en live, à la guitare. Une ambiance « Reconstruc­tion Party », sage et cool, clin d’oeil à cette mythique soirée de « Demolition Party », qui avait jadis précédé la fermeture du Royal Monceau. Se vautrer sur les lits et se prendre en selfie dans la baignoire aux robinets à tête de cygne dorés, c’est aussi ça le luxe d’aujourd’hui. Une nonchalanc­e cool.

Au Royal Monceau, les invités arrachaien­t des pièces de cristal des lustres d’époque et se mettaient minables à ne plus tenir debout. La vulgarité est tout ce que déteste Karl, épris d’une élégance juste. Qui, en phase avec l’époque, sait que la nouvelle clientèle du Ritz peut tout aussi bien aller passer une nuit pour s’encanaille­r à l’hôtel Grand Amour, à deux pas de la gare de l’Est.

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KARL LAGERFELD A DÉPOUSSIÉR­É LE CONCEPT DU DÉFILÉ EN FAISANT DÉAMBULER LES MANNEQUINS ENTRE LES TABLES.
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