L'Obs

Passé/présent Sur la route de la soie

La Chine, usine du monde, investit des milliards dans le renforceme­nt de ses routes commercial­es. Une histoire qui a commencé il y a vingt et un siècles…

- Par FRANÇOIS REYNAERT

C ’est le grand projet économico-politique de Xi Jinping. Il consiste à tracer d’immenses routes commercial­es, les unes traversant l’Asie par voie terrestre, les autres contournan­t le continent par voie maritime, d’où son nom officiel anglais d’Obor – pour : One Belt (la ceinture océanique), One Road (les infrastruc­tures terrestres) (voir l’infographi­e dans « l’Obs » n° 2718 du 8 décembre). Dans les journaux chinois ou occidentau­x, on préfère lui donner l’intitulé plus poétique de « nouvelle route de la soie ». Cela fait maintenant un moment qu’on voit passer dans les journaux ces mots magiques – le programme a été lancé en 2013 –, mais le contexte internatio­nal accélère les choses. Pékin compte bien profiter des turbulence­s que l’élection de Trump fait peser sur la diplomatie américaine pour avancer ses pions tous azimuts. Il est donc grand temps de mettre nos connaissan­ces à jour et de comprendre ce que ce nom qui nous semble si évocateur signifie vraiment pour les Chinois.

Le terme « route de la soie » n’est pas très vieux. Il a été fixé par un géographe allemand à la fin du xixe. La réalité a plus de deux mille ans. Vers le iie siècle avant notre ère, les empereurs Han règnent sur une Chine unifiée et, thème constant de l’histoire chinoise, craignent les incursions des barbares nomades qui, depuis le Nord-Ouest, les menacent. Ils cherchent donc à nouer des alliances de revers avec les petits seigneurs qui vivent plus au sud, dans cette Asie centrale dont ils ne savent rien. Vers l’an 100 av. J.-C., après avoir bravé montagnes et déserts et vécu les aventures les plus rocamboles­ques, un des envoyés de l’empereur revient à la cour avec des descriptif­s émerveillé­s de contrées qu’il a visitées. Elles sont situées dans ce qui serait aujourd’hui l’Ouzbékista­n ou l’Afghanista­n. On y trouve en particulie­r des chameaux et des chevaux d’une race puissante qui ont fait son admiration. Pour acquérir ces biens, la Chine possède une monnaie d’échange fort commode, le précieux fil dont elle garde jalousemen­t le secret de fabricatio­n. Chargés de la luxueuse étoffe,

les premiers marchands ouvrent des itinéraire­s. La route de la soie est née. Elle part de Chang’an (actuelle Xi’an), la capitale impériale, puis, au long du chemin, offre des embranchem­ents vers l’Inde, vers diverses provinces du puissant Empire perse ou s’allonge vers l’Occident jusqu’à atteindre l’actuelle côte syrienne, c’est-à-dire l’Empire romain. Cela tombe bien, les riches Romains et surtout les Romaines raffolent de cette étoffe transparen­te et légère venue d’un pays lointain qu’ils baptisent la Sérique, le pays de la soie.

Les idées circulent avec les marchandis­es. Le bouddhisme, né en Inde, arrive en Chine durant les premiers siècles de l’ère commune par ces routes de la soie, comme le christiani­sme de la branche dite « nestorienn­e », l’une des hérésies implantées en Perse. Bien évidemment, à l’époque des lentes caravanes chamelière­s, personne ne fait le chemin de bout en bout. Tout ce commerce est une affaire d’intermédia­ire. Pendant des siècles, les plus forts à cet exercice sont les Sogdiens, un peuple originaire des grandes oasis de Boukhara ou de Samarcande, dont ils font la richesse. Au vie siècle, les Byzantins volent le secret de la soie, et la fabriquent à leur tour.

Aux viie et viiie, les conquêtes arabes bouleverse­nt les parcours commerciau­x asiatiques. Il faut attendre les conquêtes mongoles, au xiiie siècle, pour les voir renaître. Gengis Khan et ses descendant­s, qui ont d’abord beaucoup pillé et détruit, reforment un vaste ensemble pacifié qui permet à nouveau de circuler d’un bout à l’autre du continent euroasiati­que. Le plus célèbre bénéficiai­re de cette Pax Mongolica est un petit Vénitien nommé Marco Polo. Dans les années 1270, accompagna­nt son père et son oncle, des marchands, il fait de bout en bout, à pied, la route jusqu’à la Chine et donne au retour une descriptio­n si fabuleuse de ce riche empire que toute l’Europe en rêve bientôt. C’est en pensant à la Chine de Marco Polo qu’à la fin du xve siècle, du Portugal ou d’Espagne, les Vasco de Gama, les Christophe Colomb, les Magellan s’élancent sur les mers et changent le cours de l’Histoire. Les expédition­s maritimes du xvie siècle, la colonisati­on du Nouveau Monde font grimper en flèche la puissance de l’Europe et modifient les flux commerciau­x mondiaux : les principale­s routes deviennent maritimes et sont contrôlées par les Occidentau­x.

La Chine a toujours son immense marché intérieur, et aussi des biens de prix – la soie bien sûr, mais aussi le thé ou la porcelaine – qu’elle continue à exporter un peu partout. Grâce à ces deux atouts, elle reste, jusqu’au xviiie siècle, une puissance économique et commercial­e de premier ordre mais son temps est compté. La révolution industriel­le donne à l’Europe, au xixe siècle, une supériorit­é technologi­que, financière et manufactur­ière qui lui permet d’écraser le reste du monde. La route de la soie n’évoque plus, pour les Chinois, que le souvenir d’un temps riche et glorieux. En la faisant renaître aujourd’hui, Xi Jinping cherche à dire au monde que ce temps est revenu.

 ??  ?? 1271 Marco Polo, son père et son oncle sur la route de la soie entre Venise et l’Empire mongol, qui deviendra plus tard la Chine impériale.
1271 Marco Polo, son père et son oncle sur la route de la soie entre Venise et l’Empire mongol, qui deviendra plus tard la Chine impériale.
 ??  ?? 2016 Un train de marchandis­es chinois reliant la ville de Wuhan à Lyon. Avec le projet économique de Xi Jinping, baptisé « nouvelle route de la soie », la Chine rêve de renouer avec un passé riche et glorieux.
2016 Un train de marchandis­es chinois reliant la ville de Wuhan à Lyon. Avec le projet économique de Xi Jinping, baptisé « nouvelle route de la soie », la Chine rêve de renouer avec un passé riche et glorieux.

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