L'Obs

Le point de vue de Daniel Cohen

- Par DANIEL COHEN Directeur du départemen­t d’économie de l’Ecole normale supérieure. D. C.

LA GAUCHE, QUI INCLUT LE CANDIDAT ÉCOLOGISTE, SEMBLE PRÉFÉRER PERDRE LES ÉLECTIONS QUE DE SE RETROUVER SUR UN TERRAIN COMMUN.

La gauche semble résolue à se présenter en ordre dispersé aux prochaines élections. La célèbre trilogie proposée par René Rémond pour décrire la droite, et dont Hervé Le Bras rappelait la validité pour cerner le vote Fillon, peut servir aussi à comprendre l’éclatement de la gauche. Il y a la gauche « bonapartis­te », à la recherche d’un leader charismati­que pour incarner le peuple, la gauche « légitimist­e », qui se donne comme héritière de la IIIe République, et la gauche « orléaniste », qui veut réconcilie­r la gauche avec l’économie de marché.

Pourquoi, mieux que la gauche, la droite réussit-elle à dépasser ses différence­s ? Elle a pansé, tout d’abord, ses plaies concernant l’Europe. Ayant expulsé à l’extrême droite ses pulsions souveraini­stes, l’idée européenne ne la trouble plus. La gauche (bonapartis­te surtout) ne s’y résout pas et ne peut accepter, par exemple, l’indépendan­ce de la Banque centrale européenne. L’islam est un autre facteur. Il donne à la droite un ennemi commun. Juppé, qui a essayé courageuse­ment de faire de la résistance, a dû rendre les armes. La gauche reste divisée entre les tenants d’une laïcité dure (les légitimist­es) et les « multicultu­ralistes ».

Le rapport à l’économie est tout aussi clivant. La droite orléaniste (le milieu des affaires) peut s’allier à Sarkozy (bonapartis­te) ou à Fillon (légitimist­e) sans aucune difficulté. La gauche orléaniste sent toujours le soufre. La mondialisa­tion, l’économie numérique ont relancé les débats. Que faire face à l’ubérisatio­n de la société? Laisser faire, interdire, chercher une voie médiane? Les débats deviennent vite explosifs.

A présent que l’accès au second tour de la présidenti­elle ne permet plus de sélectionn­er le mieux placé, la gauche, qui inclut le candidat écologiste, semble préférer perdre les élections que de se retrouver sur un terrain commun, celui de la primaire. Un rapport de France Stratégie, « Lignes de faille », mériterait pourtant d’être médité. Il montre qu’un immense vent de pessimisme a soufflé sur les Français : 63% d’entre eux pensent que le pire de la crise est encore à venir, 70% des jeunes sont convaincus que la société ne leur donne pas les moyens de montrer ce dont ils sont capables. Mais c’est surtout la confiance collective envers la France qui a disparu. Les jeunes, par exemple, sont trois fois plus pessimiste­s pour la jeunesse en général que pour eux-mêmes en particulie­r. La désunion de la gauche fait en réalité partie de ce mal qu’il s’agit de soigner.

Que devrait-elle faire pour y remédier ? Peut-être ceci : ne pas chercher de boucs émissaires et accepter l’idée que les principaux problèmes qui se posent à la France (école, santé, fiscalité, transition énergétiqu­e, travail, démocratie sociale…) sont d’origine interne. Cela n’interdit évidemment pas de parler de l’Europe et de la mondialisa­tion et d’expliquer comment les transforme­r. Mais partir de la France permettrai­t d’aborder directemen­t la question : comment lui redonner confiance, et l’aider à transcende­r ses différence­s… ?

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