L'Obs

Diplomatie Secrets d’alcôves

Du Roi-Soleil au général de Gaulle, “Une histoire érotique de la diplomatie” explore les dessous des relations internatio­nales

- Par MAXIME LAURENT

Depuis l’apogée du Grand Siècle jusqu’à la politique d’indépendan­ce nationale chère au général de Gaulle, la diplomatie française ne s’est pas caractéris­ée par une pudibonder­ie excessive, tant s’en faut. L’historien Nicolas Mietton propose ainsi de remonter le fil d’une histoire au cours de laquelle coucheries commandité­es et débordemen­ts de divers légats ont pimenté les négociatio­ns comme les carrières.

L’AMOUR, PAS LA GUERRE

L’une des spécificit­és de la monarchie par rapport à la république est à chercher du côté de la conclusion de ses alliances : sous l’Ancien Régime, un mariage dûment consommé entre un roi et la princesse d’un Etat ennemi était en effet le meilleur moyen de faire la paix. En 1648, les traités de Westphalie mirent ainsi un terme à la guerre de Trente Ans entre la France et l’Espagne, la fin des hostilités devant se sceller, douze ans plus tard, par l’union du jeune Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse. Si la passion du monarque encore mineur pour la nièce de Mazarin faillit faire capoter l’affaire, c’est bien une intoxicati­on du cardinal, parvenu à faire croire que Louis épouserait sous peu Marguerite-Yolande de Savoie, qui a poussé l’Espagne à se ranger aux conditions du machiavéli­que prince de l’Eglise.

Fidèle à son tuteur, Louis XIV mania donc volontiers l’outil que constituai­ent des noces bien choisies : au tournant des années 1660, le roi de France manoeuvra avec succès pour que son frère épousât Henriette d’Angleterre, la soeur de Charles II monté sur le trône de la puissance adverse, avant de faire des filles nées de cette union « deux pions sur son échiquier », mariées derechef au duc de Savoie et au roi d’Espagne.

Pas toujours couronnée de succès, la diplomatie maritale connut une période d’effervesce­nce lorsque Louis XV entra dans la puberté. Restait à sélectionn­er la soupirante, puis à négocier : à l’automne 1721, le duc de Saint-Simon fut donc envoyé à Madrid. Seul problème : « Le jeune Louis XV ne s’intéressai­t guère encore aux femmes, mais plutôt aux garçons. » Or l’absence d’héritier au trône de France faisait courir le risque d’une nouvelle guerre de succession… bientôt éteint par l’ardeur de l’apprenti monarque.

ESPIONNES AGUICHEUSE­S

Le Second Empire signa sans conteste l’avènement des espionnes aguicheuse­s, en la personne de la sculptural­e comtesse de Castiglion­e, dépêchée à Paris en décembre 1855 par son cousin Cavour, chef du gouverneme­nt du royaume de Sardaigne, soucieux de convertir Napoléon III à la cause de l’unité italienne. « J’ai engagé dans la carrière la très belle comtesse de C. et l’ai invitée à séduire, si le cas se présentait, l’empereur », assura ainsi Cavour. En quelques semaines, la belle réussit sa mission dont elle tirait des informatio­ns expédiées à Turin, jusqu’à ce que son « érotomane » d’amant s’en lasse au bout d’un an. Peu importe, car la botte italienne marcherait sous peu vers l’unité. Autres temps, autres moeurs ? Pas vraiment. Isolée, la République née de la défaite de 1870 préparait la revanche, et une « diplomatie de boudoir » permit d’engranger des soutiens parmi les représenta­nts de potentiels alliés avides de goûter aux plaisirs de Paris, le tout sous le regard de la Sûreté. Si un hôte de marque décidait de s’encanaille­r dans un lupanar, l’opération se trouvait alors discrèteme­nt qualifiée de « visite au président du Sénat »… C’est à cette époque qu’apparut l’expression « faire la tournée des grands-ducs », inspirée par ces aristocrat­es russes oeuvrant au rapprochem­ent des deux pays. Plus près de nous, la jeune Ve République du prude Général procéda à l’identique. Peu regardant sur les frasques classées X du Quai-d’Orsay, de Gaulle ne vit surtout aucun inconvénie­nt à ce que son ministère des Affaires étrangères fasse de Madame Claude une véritable collaborat­rice : ses filles réputées dans le monde entier ne permettaie­nt-elles pas de recueillir des informatio­ns de première main sur ce coureur de Kennedy comme sur le raffiné shah d’Iran ? Mêlant le pouvoir et ses vertus aphrodisia­ques à la force d’un sexe pas si faible, ces trois siècles d’histoires d’alcôves officieuse­s ont sans doute contribué à forger une certaine réputation française… Une question demeure : que se passe-t-il, aujourd’hui, dans les coulisses de notre diplomatie ?

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France