L'Obs

ENQUÊTE SUR LES AGRESSEURS SEXUELS DU MÉTRO

Dans son livre “Histoire de la violence” (Seuil), paru en janvier dernier, Edouard Louis raconte avoir été violé un soir de Noël. Son agresseur présumé, mis en examen puis placé en détention provisoire pendant onze mois, vient de sortir de prison. Il clam

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Ce soir-là, la place de la République était vide, et Edouard Louis, légèrement euphorique après une soirée passée à Saint-Germain-des-Prés avec ses deux meilleurs amis. Ensemble ils venaient de fêter Noël 2012. Eddy Bellegueul­e, qui n’est pas encore un écrivain reconnu et n’a pas adopté le patronyme d’Edouard Louis, croise Reda. Les deux hommes se plaisent. Reda drague Eddy. Et monte dans son petit appartemen­t finir la nuit. Ce n’est qu’au petit matin que tout aurait dérapé. Enfin, selon Eddy Bellegueul­e… Car Reda, lui, a une version diamétrale­ment opposée du déroulemen­t de la soirée. Pour l’écrivain, qui a minutieuse­ment relaté tous les détails de cette courte nuit dans son deuxième roman, « Histoire de la violence », le cauchemar débute quand Reda tente de lui dérober sa tablette avant de partir. Edouard Louis s’en aperçoit. Fou de rage de se faire traiter de voleur, Reda serait alors devenu ultraviole­nt. Il aurait tenté d’étrangler Edouard Louis avec son écharpe, le menaçant avec une arme, puis l’aurait violé avant de quitter les lieux. Le 25 décembre au soir, Edouard Louis porte plainte dans un commissari­at parisien et les policiers viennent faire des prélèvemen­ts ADN dans son appartemen­t. Ils permettron­t d’arrêter Reda quatre ans après les faits, en janvier 2016, alors que ce dernier est en garde à vue pour une affaire de shit. Mis en examen pour « viol avec menace ou usage d’une arme » et « vol », il vient d’effectuer presque un an de prison, en dépit de ses constantes dénégation­s. Cet Algérien de 31 ans, que nous avons pu rencontrer longuement, nie avoir violé l’écrivain. Il se souvient bien de cette nuit-là, reconnaît la tentative de vol de la tablette, mais jure n’avoir jamais été violent. « Je n’ai jamais violé personne, répète Reda en boucle. Pourquoi il dit ça? Je veux qu’il vienne en face de moi, pour qu’on s’explique. Comment je me défends s’il ne vient pas? En confrontat­ion il va craquer, il va dire la vérité. »

Sauf que l’écrivain de 24 ans ne s’est

jamais rendu aux confrontat­ions organisées dans le cadre de l’informatio­n judiciaire ouverte pour viol et vol au parquet de Paris. Aujourd’hui, Edouard Louis, la victime présumée, ne semble plus tout à fait en phase avec Edouard Louis, l’écrivain. Il a bien voulu détailler, au fil des interviews, les circonstan­ces et le déroulemen­t de cette nuit de violence, présentée comme réelle, vécue. Mais il ne veut plus aujourd’hui entendre parler d’un procès et de la justice. « Je rêve qu’il n’y ait pas de procès, a-t-il ainsi déclaré, lorsd’une expertise psychologi­que menée fin octobre dans le cadre de l’enquête judiciaire. Je n’ai pas été bien pendant deux semaines, mais c’est tout. J’ai déménagé car je ne voulais pas le rencontrer, mais c’est fini. Je n’ai plus de problème avec ça, par contre je voudrais que ce soit fini. » Devant l’experte, Edouard Louis explique même avoir été forcé par ses amis à porter plainte… « Nous avons fait plusieurs fois l’amour. C’était très bien, mais c’est quand j’ai vu qu’il avait ma tablette que ça a dégénéré. Ça suffit cette histoire, il faut que ça s’arrête, un non-lieu c’est le mieux », conclut-il. Alors pourquoi ce livre, pourquoi cette publicité autour de ce viol, demande la psychologu­e ? « Je sais, j’en ai trop parlé, je regrette. » Sauf qu’en droit français ce n’est pas la victime présumée qui décide de mettre fin à une procédure judiciaire… Pourquoi ce revirement? « Histoire de la violence » est-il réellement autobiogra­phique, «vrai», comme le présentait son auteur ? Déjà, son premier opus, « En finir avec Eddy Bellegueul­e », avait déclenché une polémique. Certains personnage­s du livre, qui narre son enfance en Picardie, son homosexual­ité incomprise, puis sa trajectoir­e de jeune Rastignac surdoué vers l’Ecole normale supérieure et la sociologie, avaient remis en cause la véracité du récit… Au sujet du viol qu’il relate dans son second roman, Edouard Louis, contacté par « l’Obs », maintient sa version des faits en intégralit­é dans un long mail qu’il nous a fait parvenir. Mais il ajoute : « Je souhaite que cette procédure s’arrête ou, en tout cas, ne plus en faire partie. » L’écrivain dit avoir éprouvé, ces dernières semaines, la « violence de la procédure judiciaire et des experts notamment psychologu­es […]. Les convocatio­ns permanente­s, les examens médicaux humiliants, les lettres d’avocats m’empêchaien­t de dormir, de travailler, de vivre sereinemen­t ». L’écrivain, qui a par ailleurs pris position, publiqueme­nt, contre l’emprisonne­ment, se dit soulagé de la libération de Reda. « Même si j’ai peur aujourd’hui, je suis content qu’il soit libéré car je ne supporte pas l’idée que mon histoire ait été utilisée pour enfermer quelqu’un. » Edouard Louis annonce également qu’il ne se rendra pas au procès. Son avocat, Me Emmanuel Pierrat, n’a pas souhaité nous répondre, invoquant le secret de l’instructio­n.

« Toute victime a le droit d’être confrontée à celui qui l’accuse, argumente de son côté Me Marie Dosé, l’avocate de Reda. Aujourd’hui, Edouard Louis méprise une procédure judiciaire qu’il a lui-même enclenchée, quitte à renier ses prises de position publiques. Nous voulons un procès, un non-lieu motivé qui prouve l’innocence de mon client. » Pendant toute sa détention, Reda, lui, a cherché à comprendre les motivation­s de l’écrivain. A ce jour, il n’a qu’une seule réponse à nous apporter : « Je ne comprends rien. » Les deux hommes se sont-ils disputés au petit matin ? Edouard Louis a-t-il eu peur ? « Jamais, je n’ai jamais crié, jure Reda. Et je n’ai jamais eu d’arme de ma vie… » Dans son casier judiciaire, on ne trouve d’ailleurs nulle trace de condamnati­on pour violence. Né dans le nord-est de l’Algérie et arrivé en France illégaleme­nt en 2011, le jeune homme a en revanche été jugé quatre fois pour vol, et fait quelques séjours en prison. A l’époque où il croise la route d’Edouard Louis, il vivote de petits boulots, des chantiers à droite à gauche, et drague le soir à la sortie des boîtes gay du Marais. Combien d’hommes a-t-il ainsi rencontrés ? « Quatre ou cinq », concède-t-il. Au petit matin, quand les temps sont durs, il dérobe ce qu’il trouve. Un autre de ses amants a d’ailleurs porté plainte contre lui pour vol de portable. Mais n’a jamais évoqué le moindre viol. « Le personnage du livre et Reda, le vrai, n’ont rien en commun, tranche Juan, l’actuel compagnon de Reda, qui a lu le livre d’Edouard Louis pour y trouver des réponses. J’avais peur de retrouver des traits de son caractère, d’être déçu. Mais j’ai très vite été soulagé : par exemple, Edouard Louis raconte l’exil du père de Reda en France, sa vie dans les foyers d’immigrés. Tout cela est faux. »

Comment la justice va-t-elle trancher entre ces deux versions, ces deux témoignage­s aussi crédibles que contradict­oires ? « Dans les dossiers de viol, il y a toujours beaucoup de souffrance, mais peu de preuves. Et jamais de victime parfaite », rappelle une source judiciaire. Dans cette enquête, le spécialist­e qui a expertisé les photos du corps d’Edouard Louis prises quelques heures après les faits conclut à l’existence d’un rapport sexuel non consenti, mais la psychologu­e chargée, elle, d’examiner l’écrivain prévient les magistrats : « Il joue avec l’imaginaire au point de risquer de se perdre. »

“JE N’AI JAMAIS VIOLÉ PERSONNE. POURQUOI IL DIT ÇA ? JE VEUX QU’IL VIENNE EN FACE DE MOI POUR QU’ON S’EXPLIQUE.” REDA, AGRESSEUR PRÉSUMÉ D’ÉDOUARD LOUIS

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 ??  ?? Edouard Louis dédicace « En finir avec Eddy Bellegueul­e », qui s’est vendu à plus de 300 000 exemplaire­s, en mars 2014.
Edouard Louis dédicace « En finir avec Eddy Bellegueul­e », qui s’est vendu à plus de 300 000 exemplaire­s, en mars 2014.

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