L'Obs

LE BLUES DES CATHOS DE GAUCHE

Humanistes, modérés et traditionn­ellement discrets, ils ont aujourd’hui bien du mal à se faire entendre et à reconnaîtr­e leur Eglise. Enquête sur ces croyants dépités

- par ARNAUD GONZAGUE

C’était au début de l’année, se souvient Sylvie. Le prêtre qui célébrait la messe a changé de tête et d’allure. » Dans cette petite paroisse en Eure-etLoir, le nouveau est plus jeune, plus fringant que l’ancien curé, mais… il porte une soutane noir corbeau comme dans les films de Don Camillo. La bonhomie en moins. « L’ambiance a évolué vers quelque chose de plus traditionn­el », raconte cette quadragéna­ire, très impliquée dans la vie de sa paroisse. La messe dure plus longtemps, elle comprend des chants en latin et attire des gens qu’elle n’avait jamais vus avant. « Ils sont plus démonstrat­ifs dans leur piété, chantent plus fort... du genre à communier [le moment où l’hostie est distribuée, NDLR] agenouillé­s ou à marmonner la Litanie des rois de France [prière royaliste dédiée aux monarques, NDLR]. » Par curiosité, Sylvie s’est rendue à une soirée débat animée par la nouvelle équipe de prêtres. Thématique : la vie après la mort. « Ils ont affirmé que l’enfer existait et que s’y trouvaient tous ceux qui avaient refusé le Christ. Autrement dit, tous les non-catholique­s de la terre, même s’ils avaient un comporteme­nt exemplaire ! » Heurtée, cette mère de famille qui vote à gauche a fini par opter pour une nouvelle paroisse plus en phase avec ses valeurs, à 20 kilomètres de chez elle.

Les cathos de gauche ont le blues. Comme Sylvie, ils sont nombreux à éprouver le sentiment pénible d’être invités à aller se faire pendre ailleurs depuis que les débats autour du mariage homosexuel, en 2012, ont réveillé dans l’Eglise les discours plus réacs. Patrick, 49 ans, gay et de gauche, a ainsi été blessé par les attitudes hostiles des paroissien­s de son église de Fontenay-sous-Bois (Val-deMarne) : « La messe venait tout juste de s’achever quand j’ai vu des cars se garer sur le parvis. Tous ceux dont j’avais partagé le banc sont montés dedans. Ces cars les emmenaient à une manifestat­ion anti-mariage gay... Je me suis senti rejeté, honteux et en colère. » « Se rassembler sans se ressembler » : ce salarié d’Emmaüs a compris que la jolie devise des scouts chrétiens n’avait plus lieu d’être et il en souffre

terribleme­nt. Le divorce entre la gauche et les cathos serait-il consommé ? Pas si simple : les cathos qui votent à gauche représente­nt encore entre un quart et un tiers des fidèles en 2015 (chiffres Ifop) contre un quart à 40% à la fin des années 1970. « Les catholique­s ne se sont pas plus ‘‘droitisés’’ que les autres Français », confirme Vincent Soulage, ancien conseiller municipal socialiste à Nanterre (Hauts-de-Seine) et animateur du site Chretiensd­egauche.com. Pourquoi, alors, n’entend-on plus, ou si peu, les plus progressis­tes d’entre eux ? « La dynamique n’est plus de notre côté et c’est un peu de notre faute, admet Christian Terras, directeur de « Golias », mensuel et hebdo catholique­s de gauche. On a laissé la boutique aux réacs, il fallait la tenir ! Etre présents dans les instances de l’Eglise, dans l’animation des paroisses, pas simplement dans les associatio­ns caritative­s… »

Cet effacement des cathos de gauche s’explique aussi, selon Vincent Soulage, « par le fait que le débat public a changé de nature. Avant, les thématique­s sociales, sur lesquelles les cathos sont plutôt progressis­tes, avaient plus d’importance. Depuis le mariage pour tous, ce sont les questions ‘‘intimes’’, comme l’homosexual­ité ou l’avortement, qui ont pris le dessus ». Or ces sujets ont charrié avec eux au mieux un conservati­sme larvé, au pire une homophobie haineuse. « Ce n’est pas facile de défendre au sein de l’Eglise le mariage et la parentalit­é homosexuel­s, confirme Alexandre Casimiro, 38 ans, mais il faut le faire. » Avec son frère jumeau Raphaël, sympathisa­nt socialiste comme lui, ils prennent souvent la parole dans leur paroisse cossue de Hem (Nord) pour faire résonner la voix de la modernité. « On est obligés de rappeler que non, les enfants élevés par des parents homosexuel­s ne deviennent pas des délinquant­s. C’est ce qu’on disait jadis des enfants de divorcés ! » Les deux profs d’histoire-géo, qui sont également responsabl­es de la quête à l’église de Hem, ont même créé un blog (1) pour exprimer leurs vues. « De braves gens de la paroisse sont allés nous dénoncer au curé pour ce forfait, sourit Raphaël. Lui, a trouvé ça bien qu’on fasse vivre le débat. Ce que nous disons est pourtant simple : aujourd’hui, Jésus défendrait les homosexuel­s ! »

Mais tout le monde n’a pas la combativit­é rigolarde des frères Casimiro. Au contraire, il n’a, semble-t-il, jamais été aussi difficile de s’affirmer catho de gauche. « C’est comme faire son coming out, ose Vincent Soulage. Je galère pour trouver de nouveaux contribute­urs pour mon site. Beaucoup partagent notre vision progressis­te, mais ils travaillen­t dans des grandes ONG chrétienne­s ou les organisati­ons scoutes et ne veulent pas être repérés… » Repérés ? Leur grande terreur est de subir les foudres de la cathosphèr­e, majoritair­ement réac et habituée à jeter en pâture sur le Net les noms de tous ceux qu’elle accuse d’être partisans de la chimérique « théorie du genre » ou d’encourager la « perte de repères ».

Le malaise des croyants progressis­tes tient aussi aux prises de position de la Conférence des Evêques de France (CEF), souvent considérée comme l’aile éclairée de l’Eglise hexagonale, et à son mol humanisme. Il suffit de lire son texte sur le mariage gay, produit à la rentrée 2012, pour la sentir gênée aux entournure­s dès qu’on aborde ces rivages. S’opposant certes à toute homophobie, il rappelle que « l’Eglise est attachée au mariage comme union entre un homme et une femme » et recommande aux catholique­s homos de « vivre […] dans la chasteté ». Difficile de se montrer très combatif contre les réacs quand, sur le fond, l’institutio­n est d’accord avec la Manif pour tous...

Les « conciliair­es » (catholique­s attachés à l’héritage du concile Vatican II qui, dans les années 1960, a modernisé les positions de l’Eglise) ne savent pas, enfin, user de l’agressivit­é militante des anti-mariage gay. « Pour désigner notre foi, nous avons coutume de faire référence à la métaphore du levain dans la pâte, explique Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, connu pour ses positions progressis­tes. C’est-à-dire quelque chose d’enfoui, de presque invisible. Autrement dit, nous agissons mus par nos valeurs chrétienne­s, mais sans les proclamer explicitem­ent. » Tout le contraire des cathos « identitair­es », plus fiers, plus véhéments, plus démonstrat­ifs surtout, qui ont su s’imposer dans les médias. « Quand un évêque [celui de Toulon, Mgr Rey, NDLR] invite une élue du Front national [Marion Maréchal-Le Pen, NDLR] à s’exprimer dans un colloque, cela fait plus de bruit que quand des textes épiscopaux se prononcent pour la main tendue et la tolérance », regrette ainsi Mgr Stenger. Pour sortir de cette invisibili­té, il faudra bien que les cathos de gauche se mettent à faire ce qui les a toujours rebutés : du bruit.

“CE N’EST PAS FACILE DE DÉFENDRE AU SEIN DE L’ÉGLISE LE MARIAGE ET LA PARENTALIT­É HOMOSEXUEL­S.” ALEXANDRE CASIMIRO, SYMPATHISA­NT SOCIALISTE

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Raphaël et Alexandre Casimiro, tous deux professeur­s d’histoire et géographie.

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